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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

même ; mais la discussion ne l’intéresse plus. Il invoque l’Écriture, le sens commun, l’usage ; il s’amuse ou se traîne dans des banalités[1]. La vraie riposte, c’est Joseph de Maistre qui la fournit dans ses lettres à sa fille Constance, cent ans plus tard. Constance avait déclaré solennellement à son père « que les femmes sont capables de faire tout ce que font les hommes ». Et Joseph de Maistre lui répond : « Si une belle dame m’avait demandé, il y a vingt ans : Ne croyez-vous pas, monsieur, qu’une dame pourrait être un grand général comme un homme ? je n’aurais manqué de lui dire : Sans doute, madame, si vous commandiez une armée, l’ennemi se jetterait à vos genoux comme j’y suis moi-même ; personne n’oserait tirer et vous entreriez dans la capitale ennemie au son des violons et des tambourins.. » L’austère écrivain des Soirées de Saint-Pétersbourg excelle à faire tomber d’un mot juste et gai ces aimables et dangereuses chimères[2].

Du système qui fait la femme l’égale de l’homme, si l’on veut passer tout de suite au système opposé, c’est dans J.-J. Rousseau qu’il faut en chercher l’expression. Il l’a développé en perfection. Il n’est personne en France, peut-être, sauf Napoléon, qui ait traité plus sévèrement les femmes, et parlé avec moins de ménagements de ce que l’empereur appelait crûment « la nécessité de leur constante et perpétuelle résignation[3] ». « Toute l’éducation des femmes, dit Rousseau, doit être relative aux hommes. Leur rôle est de plaire. » Le cinquième livre de l’Émile est presque exclusivement consacré à faire la preuve de ce principe. Sophie n’a que des vertus de second ordre, des vertus

  1. De l’Excellence des hommes contre l’égalité des sexes ; Paris, 1679, 1692.
  2. Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre, tom. II, Lettres à Mlle Constance de Maistre, nos 41, 42, 44, 49, 112. — Cf. t. II, Cinq Paradoxes à Mme la marquise de Nav… Deuxième paradoxe : Les Femmes sont plus propres que les hommes au gouvernement des États. — J. de Maistre résume, d’ailleurs, son opinion dans le passage suivant : « Le mérite de la femme est de régler sa maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l’encourager et d’élever ses enfants, c’est-à-dire de faire des hommes. Au reste, il ne faut rien exagérer : je crois que les femmes, en général, ne doivent point se livrer à des connaissances qui contrarient leurs maris, mais je suis fort éloigné de croire qu’elles doivent être parfaitement ignorantes. » (Lettre no  41.)
  3. Lettre sur l’organisation d’Écouen déjà citée, 15 mai 1809.