Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
REVUE PÉDAGOGIQUE

Mlle de Gournay, une érudite hollandaise, — presque aussi célèbre que la reine Christine de Suède, une correspondante autorisée de Spanheim, Huyghens, Saumaise, Gassendi, Voet, Balzac, Mersenne, Conrart, — Anne-Marie Schurman, dont les traités, écrits en hébreu, en grec, en latin, en français, atteignirent de son temps trois éditions[1]. Dans sa thèse, une vraie thèse, rédigée en latin, suivant toutes les règles, avec arguments intrinsèques et extrinsèques, majeures, mineurcs ct conclusions, objections et répliques, Anne-Marie Schurman se propose de démontrer que l’intelligence n’a pas de sexe, que la femme est capable des mêmes efforts que l’homme, qu’aucune loi divine ne lui interdit de développer ses facultés, qu’on ne peut, conséquemment, lui en disputer le complet exercice et l’application à toutes les formes de l’activité humaine. Elle n’y met que trois conditions : de l’esprit, un peu de bien et beaucoup de loisirs ; et ces conditions, qu’elle souhaite à toutes ses pareilles, elle les remplit elle-même. Ce qui lui manque, ce qui du moins fait défaut dans sa dissertation savante et serrée, c’est la grâce. Aux témoignages qu’elle accumule, la jeune érudite a voulu ajouter, comme surcroît de preuves, son propre exemple : l’opuscule pourrait être signé d’un homme[2].

Restait à déterminer l’emploi de cette science acquise et l’usage de ces talents ? C’est à l’agrément de la vie surtout que songeaient Mlle de Gournay et Anne-Marie Schurman. Elles auraient applaudi Molière. Il leur suffit d’avoir des clartés de tout, pour en jouir[3].

  1. Nobilissimœ virginis Ann Mariœ A’Schurman Opuscula Hebrœa, Grœca, Latina, Gallica. prosaica et metrica. Editio tertia auctior et emendatior, 1652. Les deux premières éditions sont de 1648 et de 1650. Une quatrième a été publiée en 1754. On en fait encore des traductions au dix-huitième siècle. Voici dans quels termes Naudé parle de Mlle Schurman dans le Mascurat (pag. 71-72) : « Le mesme peut se dire aussi de ce miracle de nos jours, Mlle Anne-Marie de Schurman, qui n’excelle pas moins sur toutes les femmes savantes que les deux Scaliger ont fait tous les hommes doctes. »
  2. Le titre de la thèse est celui-ci : Problema praticum num feminœ christianœ convenial studium litterarum ? Mlle Schurman reprend la question avec ou contre quelques-uns de ses amis dans un certain nombre de lettres adressées à André Rivet. à Saumaise, à Spanheim et à Mlle de Gournay elle-même. La thèse avait paru pour la première fois sous ce titre expressif : De ingenii muliebris ad doctrinam et melibres litteras aptitudine ; Leyde, 1641 ; opuscule traduit en 1646 par Guillaume Colletet.
  3. Il n’y a pas à chercher l’opinion du dix-septième siècle dans la Satire