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négoce, la guerre, les délibérations d’État. Aujourd’hui surtout, si elles n’étaient pas empêchées par toutes les lois qui enchaînent leur liberté, combien ne s’élèveraient-elles pas au-dessus des hommes dans les choses de l’esprit et de l’érudition ? Conservatrices et propagatrices de l’humanité, elles en sont en même temps la lumière. On le voit, Agrippa[1], qui avait dédié son livre à la tante de Charles Quint, régente des Pays-Bas, ne s’interdit pas les exagérations de la chevalerie. Les esprits sages ne se laissent pas emporter si haut. Il suffit à Erasme[2] et à Vivès[3] d’établir qu’il y a lieu « d’élever la femme », au double sens du mot, « qu’une solide éducation n’a jamais perverti aucune âme, tandis qu’elle en a sauvé plusieurs de la contagion du vice ». Mais l’opinion, exaltée par la galanterie, ne se satisfait pas à ce prix. C’est décidément la supériorité de nature qui est accordée aux femmes. Bien plus, sous cette éducation qui leur est offerte, on craint quelque supercherie. « Quand je les vois attachées à la rhétorique, à la judiciaire, à la logique et semblables drogueries, si vaines et si inutiles à leur besoin, dit Montaigne, — qui, au fond, d’ailleurs, ne s’y trompe pas, — j’entre en crainte que les hommes qui le leur conseillent le fassent pour avoir droit de les régenter sous ce titre. Qu’elles fassent valoir leurs propres ct naturelles ressources. C’est grande simplesse d’estouffer cette clarté pour luire d’une lumière empruntée[4]. »

Au dix-septième siècle, la discussion change de caractère. Il ne s’agit plus de précellence. On ne poursuit plus que l’égalité. Et c’est la fille adoptive de Montaigne, Mlle de Gournay, qui, suivant

  1. Henrici Cornelii Agrippæ ab Nettesheym, De Nobilitate et Præcellentia feminini sexus ejusdemque supra virilem eminentiâ libellus (1509).
  2. De l’institution du Mariage chrétien.
  3. De l’Éducation de la femme chretienne. — Cf. De l’Éducation des jeunes garçons et des jeunes filles de qualité.
  4. Essais, 3. — C’est dans le même sentiment que G. Naudé dit, dans le Mascurat : « Tout le blâme qu’on donne à celles qui sont savantes sera attribué à la crainte qu’ont les hommes qu’elles les surmontent quelque jour. » Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin, depuis le sixième janvier jusques à la déclaration du premier avril mil six cent quarante-neuf, in-4o, 1650, ouvrage ordinairement désigné sous le nom de Mascurat, parce que Mascurat est un des interlocuteurs du dialogue ouvert par Saint-Ange (Naudé) sur la question.