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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

d’apprendre aux jeunes filles même à lire. Savoir coudre, filer, faire des bourses, travailler, en un mot, des mains, voilà, selon lui, ce qui leur convient[1]. Chrysale ne dira pas mieux[2]. Des philosophes, Gilles de Rome au premier rang, prennent leur défense. Les femmes elles-mêmes n’étaient pas sans protester. Christine de Pisan consacre un chapitre de sa Cité des Dames à réfuter « ceux qui dient qu’il n’est pas bon que les filles apprennent lettres » ; et sa voix a de l’écho : aux médisances des Cent Nouvelles[3] répondait une apologie en deux mille vers[4].

Mais c’est surtout du mouvement de la Renaissance que date la réhabilitation des femmes. On recueille leurs dits et leurs gestes ; on écrit leurs vies[5] ; on entreprend de prouver que l’homme leur est inférieur, bien loin de l’emporter sur elles en rien. C’est le sujet d’une série de lettres de Marguerite de Valois, et d’un plaidoyer de Corneille Agrippa. Marguerite se joue ; Agrippa argumente, et ses raisonnements ne sont pas toujours du meilleur goût ni d’une solidité irréfutable. Il les emprunte sans grand discernement à la Bible et à la physiologie, à ce qu’il appelle la physique, à la cabalistique et à la théologie. Dans la création, c’est Ève, la femme, tirée de la côte de l’homme, qui représente la vie, la force, la beauté ; dans l’histoire, c’est à elle qu’appartiennent la sagesse et la prévoyance : témoin les prophétesses. Si grands qu’aient été les services de certains hommes, il n’en est pas pour lesquels on ne puisse leur opposer de plus grands services rendus par les femmes. Il est même plus d’un pays où ce sont elles qui dirigent l’agriculture, l’architecture, le

  1. Du Gouvernement et du Costume des femmes. — Voir, sur l’auteur, un article de M. Delécluze, Revue française, août 1838, p. 110. — Cf. L’Éducation des Femmes, par M. Charles Jourdain, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, fragment lu dans la séance publique annuelle des cinq Académies, le 25 octobre 1871.
  2. « Puer bibens vinum et mulier loquens latinum nunquam facient finem bonum. » Cette sentence du jurisconsulte Accurse avait cours comme un proverbe.
  3. Voir également les Quinze Joies du mariage et le Blason des dames.
  4. Le Champion des Dames, poème de Martin Franc, chanoine de Lausanne, ancien secrétaire du pape Félix V.
  5. Boccace, Le Labyrinthe d’amour ; Des Femmes illustres : — Brantôme Vies des Dames illustres.