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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

elle veut qu’on donne à la jeune fille « une véritable idée des choses », qu’on l’empêche de céder au préjugé, qu’on l’habitue à penser. Au premier rang parmi les études nécessaires elle range la philosophie, « surtout la nouvelle, si on en est capable ». Mme de Sévigné n’a jamais pardonné à l’abbé de La Mousse, un cartésien zélé, d’avoir fait de Mme de Grignan une si merveilleuse écolière ; elle le rendait responsable des froideurs de sa fille. Elle ne se défie pas moins des moralistes. La sagesse de Montaigne et de Charron l’effraie pour la jeunesse de Pauline. « Je ne voudrais point du tout, disait-elle, qu’elle y mît son petit nez (on sait qu’elle l’avait fort long) ; il est bien matin pour elle ». Mme de Lambert, au contraire : sa règle est que, en fait de religion, il faut céder aux autorités ; mais que, sur toute autre matière, on ne doit recevoir que celle de la raison et de l’évidence : « c’est, à son avis, donner des bornes trop étroites à ses idées que de les enfermer dans celles d’autrui ». La philosophie, ajoute-t-elle, « met de la précision dans l’esprit, démêle les idées, apprend à parler juste ». Pénétrée du goût de l’antiquité, elle en conseille la lecture dans les traductions qui ont cours. Ne s’interdisant rien à elle-même, elle entend ne rien interdire aux autres. « La curiosité, écrit-elle avec profondeur, est une connaissance commencée », On sent qu’on a franchi le seuil du dix-huitième siècle[1].

Le programme de Rollin nous ramène un peu en arrière. L’étude de la langue latine convient-elle aux filles ? Telle est la première question qu’il se pose, et il la résout, comme Fénelon, sans trop se décider : ce doit être la faveur spéciale d’une élite. Pour le surplus, il s’en tient à la commune mesure : grammaire, arithmétique, histoire, surtout l’histoire ancienne, travail manuel, éducation domestique, lecture de poésies, musique, danse : ces trois derniers exercices toutefois non sans de grandes distinctions et des précautions à l’infini[2]. L’abbé de Saint-Pierre,

  1. Du programme de Mme de Lambert on peut rapprocher celui du P. Buffler, un des hôtes les plus assidus de son salon. Voir le Cours général et particulier des Sciences sur des principes nouveaux et simples, pour former le langage, le cœur et l’esprit ; la Pratique de la Mémoire artificielle pour apprendre et retenir la chronologie, l’histoire et la géographie, etc.
  2. Traité des Études, liv. I, chap. II, art. 2.