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REVUE PÉDAGOGIQUE

rejetées dans le désœuvrement, le jeu et le plaisir[1] ». Elle n’admet point que les hommes aient le droit de leur défendre l’application aux lettres et aux arts ; c’est un point sur lequel elle ne disconvient pas qu’elle a le sentiment indépendant et mutin[2]. Ce qu’elle réclame, d’ailleurs, n’a rien que le bon sens de Molière eût réprouvé, rien dont la raisonnable et charmante Henriette eût regardé à se faire honneur. Mme de Lambert traite de l’éducation en moraliste et en femme du monde beaucoup plus qu’en pédagogue. Elle n’a aucun des travers du pédantisme. C’est une mère qui a éprouvé sur elle-même la vertu des conseils qu’elle donne à sa fille[3], et qui voudrait lui inspirer les goûts solides où, dans une vie traversée par des disgrâces de toute nature, elle a trouvé la paix de l’âme et le bonheur. Elle ne recommande point les sciences extraordinaires, elle écarte les sciences abstraites. Les connaissances utiles, c’est-à-dire celles « qui coulent dans les mœurs », voilà ce qu’elle préconise. Elle ne s’opposera donc pas à ce qu’une femme ait de l’inclination pour le latin : c’est l’idiome de l’Église et de l’antiquité ; mais il lui suffit qu’elle possède la langue qu’elle doit parler. Elle aime « l’histoire grecque et romaine, qui nourrit le courage par les grandes actions qu’on y voit » ; elle exige qu’on sache l’histoire de France : « il n’est pas permis d’ignorer l’histoire de son pays ». En tout sujet,

  1. Réflexions sur les Femmes ; Lettre au R. P. B***, jésuite, sur Homère.
  2. « Je n’ai jamais pensé qu’à être ignorée et à demeurer dans le néant où les hommes ont voulu nous réduire… On n’attend rien de nous et l’on ne nous demande que des agréments ; on nous quitte du reste… Nous autres femmes, nous ne sommes faites que pour être ignorées… Les hommes nous ont imposé la loi d’être belles et ne nous ont donné que cela à faire… Les hommes, qui ont toujours fait leur partage entre nous avec inégalité et injustice, ont étendu leurs droits et resserré les nôtres… Quand les femmes seraient capables de se donner un mérite solide, il est à craindre que peu d’hommes seraient capables d’en être touchés… Nous ne pouvons faire aucun usage de notre liaison avec les hommes ; l’usage les a si bien servis que tout est pour eux et contre nous. Ils ont étouffé notre droit sous la force. Ils ont beau faire : ils n’ôteront point aux femmes la gloire d’avoir formé ce que nous avons eu de plus honnêtes gens dans le temps passé », etc. Ailleurs, s’adressant à son fils avec le juste sentiment du devoir qu’elle a rempli : « J’ai fait ce que j’ai pu pour mettre quelque ordre à nos affaires où l’on ne laisse aux femmes que la gloire de l’économie (elle avait perdu son mari très prématurément). J’ose dire qu’après ln perte que nous avons faite, si vous aviez eu une autre mère, vous seriez encore plus à plaindre ».
  3. Avis d’une mère à sa fille.