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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

On se plaint aujourd’hui de leur étendue et de leur richesse. Ce n’est pas la critique qu’on en pouvait faire autrefois. Sans doute, il ne faut pas tout-à-fait prendre Érasme au sérieux, lorsqu’il raille les jeunes filles de son temps, auxquelles, pour tout savoir, on apprend « à faire la révérence, tenir les bras, à sourire en pinçant les lèvres, à ne manger à table qu’à peine, sauf à se dédommager ensuite en particulier[1]. » Mais il est certain que les Livres de Raison donnent une idée modeste de ce qui leur était enseigné[2]. Il suffit au chevalier de la Tour Landry que ses enfants « puissent lire en la Bible et dans les gestes des rois et chroniques de France et de Grèce et d’Angleterre, pour y puiser de bons exemples et tourner leur cœur à Dieu[3] » ; et les princesses, les filles des rois ne reçoivent pas d’autres leçons[4].

Même au dix-septième siècle, le savoir des femmes les plus illustres était singulièrement inégal et souvent un peu court. Si la sœur de Mme de Montespan, Mme de Rochechouart, traduisait le Banquet de Platon, si Mme de Castries, sa nièce, lisait le Criton dans le texte, si les leçons de Ménage avaient assez profité à Mme de Sévigné pour qu’elle pût goûter en latin « la majesté du style de Virgile » et faire admirer à sa fille « l’ampleur des périodes de Tacite », tout à côté d’elles, Mme de Sablé ne se piquait pas d’une instruction bien sûre, et Fénelon ne craignait de blesser aucune susceptibilité en rappelant que plus d’une grande dame ne savait ni lire ni écrire correctement[5]. Mme Guyon, qui avait passé son enfance au couvent, — et nous avons vu par le Ré-

  1. De l’institution du mariage chrétien, Œuvres complètes, tome VI.
  2. Voir Charles de Ribbes, La Vie domestique. — Les Familles et la Société en France avant la Révolution.
  3. Le Livre du Chevalier de la Tour Landry à l’enseignement des dames. — Cf. la Cité des Dames, les Troys Vertus à l’enseignement des dames, le Triomphe des dames.
  4. Voir les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnois et d’Auvergne, à sa fille Suzanne de Bourbon, par A.-M. Chazaud, archiviste de l’Allier ; Moulins, 1878. — Cf. les Enseignements de saint Louis à sa fille Isabelle, et le Rosier des Guerres, rédigé par ordre de Louis XI pour son fils Charles VIII.
  5. De l’éducation des filles, ch. xii, p. 91 de l’excellente édition de M. Armand Gasté, professeur à la faculté des lettres de Caen ; Paris, E. Belin, 1882.