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REVUE PÉDAGOGIQUE

les jolies choses de toutes sortes qu’elle composait à huit ans lui avaient fait connaître et goûter, trop tôt peut-être, les enivrements du monde, son enfance s’était écoulée doucement au sein de la famille, et qu’à près de quinze ans, son frère, qui était chargé de l’élever, ne pouvait la détacher de ses poupées[1] ? Sans doute aussi, tous les couvents ne poussaient pas aussi loin l’esprit de renoncement, et d’ailleurs, quand les institutions sont si sévères, on risquerait de s’abuser à ne point faire la part de celles qui ne s’appliquaient pas : la nature humaine est plus forte que toutes les règles ; que de rigueurs s’adoucissent devant le regard d’un enfant[2] ! Les mères cependant ne laissent pas de s’en émouvoir. À la pensée du sort qui attend sa pauvre petite Marie-Blanche, Mme de Sévigné ne peut se retenir. Son imagination qui lui peint les choses entre en révolte ; son cœur saigne ; elle n’a plus ni joie ni repos ; elle en rêve.

C’est l’austérité de ces règles qui donne aux premières constitutions de la maison de Saint-Cyr une originalité presque riante. Les arguments ne manqueront jamais à ceux qui n’aiment pas la politique et la personne de Mme de Maintenon. Son œuvre pédagogique elle-même est loin d’être irréprochable ; mais, quoi qu’on en ait, il faut s’incliner, c’est un maître[3]. Mlle de Scudéry, qui se plaisait à faire le magister, suivant le mot de Tallemant, et qui ne maniait pas toujours légèrement la férule ; Mme de Genlis, qui, dès l’âge de sept ans, s’amusait à enseigner à de petits paysans, du haut de la terrasse du château de Saint-Albin, ce qu’on venait de lui apprendre, et qui, cinquante ans plus tard, faisait sonner si haut son titre de « Gouverneur des enfants d’Orléans », n’ont échappé ni l’une ni l’autre au ridicule du rôle qu’elles prenaient. On peut critiquer la conduite pédagogique de Mme de Maintenon ; elle ne prête point à rire : tant il est

  1. V. Cousin, Jacqueline Pascal, déjà cité, chap. I, p. 52, 60.
  2. Les amis de Port-Royal avaient eux-mêmes le sentiment de la rigueur de ces règles. « Il se peut faire, écrivait M. de Pontchartrain, que tous les enfants ne soient pas capables d’un si grand silence et d’une vie si tendue sans tomber dans l’abattement et dans l’ennui, ce qu’il faut éviter sur toute chose ; et que toutes les maîtresses ne puissent pas les entretenir dans une si exacte discipline, et gagner en même temps leur affection et leurs cœurs, ce qui est tout à fait nécessaire pour réussir dans leur éducation. »
  3. Voir la Correspondance, les Conseils aux demoiselles, les Entretiens