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REVUE PÉDAGOGIQUE

dont les doctrines, même lorsqu’elles confinent au paradoxe, ont tant de puissance et d’attrait ; j’entends aussi et surtout cette pléiade de femmes qui, depuis Mlle de Gournay jusqu’à Mme Necker de Saussure, ont contribué à créer, dans cette question, une tradition de bon sens et de bon goût, la vraie tradition de l’esprit français. Et alors que la controverse est encore si vive, peut-être ne paraîtra-t-il pas inopportun d’examiner à la lumière de leur témoignage les prescriptions fondamentales de la loi.

I

De toutes les discussions auxquelles elle a donné lieu, la plus grave, sans contredit, est celle qui touche au régime même de l’éducation qui convient aux filles. Doivent-elles être exclusivement élevées dans la famille ? Si l’éducation publique est préférable, sous quelle forme peut-elle leur être appliquée : l’internat ou l’externat ? Est-il impossible de réunir les avantages de l’un et de l’autre mode ? Cette question, que la raison publique pose aujourd’hui avec tant de précision, n’a pas cessé, depuis trois cents ans, d’être agitée par les meilleurs esprits.

Jamais le couvent n’a été plus en honneur qu’au dix-septième siècle. Il était le premier et le dernier asile : c’est là qu’on commençait à vivre et qu’on s’exerçait à mourir. Jamais aussi peut-être les dangers qu’il présente au point de vue de l’éducation n’ont été signalés avec plus de hardiesse. Hors de la famille, les ressources locales d’instruction manquaient. La nécessité, comme l’habitude, faisait un devoir d’envoyer la fille au couvent. On ne regardait pas à l’âge. Un deuil de famille, un départ, les circonstances, en décidaient. Mme Guyon était entrée à deux ans et demi aux Ursulines de Montargis ; Marie-Blanche de Grignan, « les petites entrailles » de Mme de Sévigné, à cinq ans et demi, à Sainte-Marie de la Visitation d’Aix[1]. Or veut-on savoir ce qu’était l’éducation du couvent dans l’ordre conçu par Port-Royal ? Il suffit d’ouvrir le Règlement de sœur Sainte-Euphémie,

  1. À Port-Royal, on n’admettait pas les jeunes filles au-dessous de dix ans, sauf les orphelines qu’on prenait dès trois ou quatre ans. Voir les Constitutions du monastère de Port-Royal du Saint-Sacrement, par la mère Agnès Arnauld, chap. xvi.