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DE L’USAGE ET DE L’ABUS DE LA PÉDAGOGIE

morale et intellectuelle ; j’entends force individuelle : si bien qu’une éducation qui n’aboutit pas, ou qui du moins (car il sied d’être modeste en pareille matière) ne vise pas nettement à munir de force propre les intelligences et les caractères, chacun à son degré et dans son ordre, manque son principal but.

Avec celui-là elle manque les autres. Toutes les qualités en effet, les plus prisées et les plus dignes de l’être, la justesse, l’ordre, la mesure, la suite rigoureuse du raisonnement, etc., réclament la force, la santé, comme leur fond nécessaire et en quelque sorte leur subsistance. Ce langage figuré, dont nous sommes réduits à nous servir ici, répond à une réalité ; il n’est pas indifférent de bien comprendre que non seulement tout savoir spécial, mais toute qualité de l’esprit ou de l’âme empruntent à la qualité fondamentale dont nous parlons leur portée véritable et en quelque sorte leur bon ou mauvais aloi.

Si la bonne éducation. l’éducation vraiment libérale, est celle qui en tout et par le moyen de tout affranchit l’âme en la rendant forte, par là maîtresse d’elle-mème, soumise à sa loi naturelle, ordonnée, mesurée ; la pédagogie, avec ses sciences auxiliaires, ne méritera d’obtenir parmi nous droit de cité à titre définitif qu’à la condition de nous enseigner les secrets de la force, de la force réglée. Elle devra inculquer aux jeunes maîtres et par eux à tous les enseignements spéciaux cette loi suprême : susciter la santé, Ç’est-à-dire l’initiative, la curiosité sérieuse, l’énergie contenue et persévérante. Et s’il est un pays, s’il est des circonstances où les pédagogues aient un grand rôle à remplir, de grands services à rendre, c’est assurément notre France contemporaine, si troublée, si menacée, mais qui met son honneur à rester une démocratie et une démocratie libérale : quel plus grand et plus pressant service à lui rendre imaginerait-on que de lui préparer. en vue de toutes les difficultés éventuelles du dedans ou du dehors, des esprits sains et clairvoyants, des âmes droites et fortes ? Tout intérêt parait accessoire auprès de celui-là : pour qui sait voir et ne se payer point d’apparences, il n’y va de rien moins que de l’avenir, du prochain avenir de notre pays, oui, de sa liberté, de son intégrité mème : c’est dans nos écoles d’aujourd’hui que se prépare la politique populaire de demain, d’où dépendra notre destinée.