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REVUE PÉDAGOGIQUE

non seulement par delà la mémoire, mais par delà les facultés de compréhension logique, jusqu’au point intime où se fait la pleine clarté, l’adhésion de l’intelligence ou du cœur. Vivants, ils susciteront la vie ; au lieu d’être de simples professeurs, ils seront des excitateurs ; non contents d’enseigner, ils inspireront ; et, selon la belle expression de Mme Necker de Saussure, instruire sera pour eux « construire au dedans ».

Nous aurons donc présente à l’esprit, dans tout notre enseignement pédagogique, cette fin supérieure : former des esprits libres, capables d’examiner, de comparer, de réfléchir, de suspendre leur jugement, capables aussi de conclure et de persister dans leur conclusion. Et comme la liberté ne peut vivre toute seule, suspendue entre ciel et terre, à l’état de tendance idéale, ayons pour principal souci de l’incorporer dans de fortes habitudes mentales, acquises au prix d’un exercice assidu et prolongé : habitudes d’attention, d’observation sincère, de rigueur dans le raisonnement, de netteté dans l’idée, d’étroit enchaînement dans l’exposition, de clarté et de précision dans l’expression. La science et l’art pédagogique ne seront estimés à leur juste prix, ils n’auront donné la mesure de ce qu’ils peuvent, que du jour où ils auront réussi à instituer, dans leur ordre propre, quelque chose de semblable à cette discipline des facultés, à cet ensemble de manières tout à la fois circonspectes et hardies d’observer, de juger, d’agir.que certaines sciences expérimentales, telles que la médecine, inculquent à leurs disciples, mème aux plus médiocres, par une longue pratique, appuyée d’une savante théorie.

On voudra bien nous excuser de revenir avec quelque insistance sur des considérations qui n’ont assurément rien de neuf, mais que l’on perd facilement de vue dans cette sorte de course haletante devenue l’allure habituelle de notre enseignement. Écrivains et professeurs, nous sommes trop portés à oublier, on l’a mille fois dit, que notre office commun c’est l’éducation de l’esprit autant et plus que l’instruction. Mais ce qu’on ne dit pas assez ou que l’on dit mal, parce qu’on le voit confusément, c’est que, à travers tous les enseignements spéciaux et avec leur aide, l’éducation se propose avant tout la santé de l’esprit ; et que la santé, c’est essentiellement la force, force