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DE L’USAGE ET DE L’ABUS DE LA PÉDAGOGIE

envahir par les habitudes de penser trop systématiques des Allemands, par l’esprit positif et utilitaire des Anglais, par l’étroit dogmatisme religieux de certains pédagogues suisses, par l’esprit exclusivement pratique des Américains ? Tant d’influences diverses qui s’exercent de divers côtés à la fois sur nous par les traductions, les extraits, les articles de journaux, peuvent nous enrichir ou nous appauvrir, nous stimuler ou nous énerver, nous embrouiller l’esprit ou l’éclaircir, nous sortir de notre régime naturel ou nous y installer plus au large.

Le danger est d’autant plus à considérer dans notre enseignement primaire que cet avènement subit de la pédagogie rencontre des esprits imparfaitement préparés. Ni l’étendue de l’instruction, ni surtout la discipline intellectuelle ne répondent encore chez nos maîtres, autant qu’on le souhaiterait, à ces nouvelles exigences. Ce n’est pas une petite entreprise que d’initier des jeunes gens âgés à peine de seize à dix-sept ans, sortis hier de l’école primaire, à la psychologie, à la morale rationnelle, à la pédagogie théorique. On a beau réduire ces sciences à des éléments : encore faut-il que ces éléments, pour entrer dans la circulation vitale, soient assimilés ; qu’au lieu d’être affaire de pure intelligence logique, ils deviennent chose vue, comprise, sentie. Les idées les plus fécondes, les principes les plus élevés, risquent de n’être que des notions d’école, dont on saisit la signification formelle, mais qui, faute de correspondre à une certaine éducation préalable de l’esprit, assez profonde ou assez étendue, demeurent à l’état de connaissance inerte et encombrante. Il peut arriver que des esprits neufs, doués d’un robuste bon sens, qui, abandonnés à eux-mêmes. auraient peut-être, à l’aide d’observations et de tâtonnements multipliés, trouvé leur voie et fait en quelque mesure œuvre originale, soient emprisonnés, figés dans un savoir dont les formules devancent leur expérience et débordent leur instruction générale.

Que sert d’ailleurs de se le dissimuler ? En vain la psychologie et la morale se dissimulent sous la forme la plus modeste, en vain elles se font petites, elles n’en sont pas moins la philosophie ! Le but pratique qu’on leur assigne, le caractère pratique de la méthode recommandée n’empêchent pas que la théorie n’intervienne de plein droit, et qu’enfin les questions ne soient les questions, les