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l’écolier le hait et il a raison, telle est la maxime secrète, souvent inconsciente, qui dirige notre action pédagogique. Disciples de Rousseau, nous trouvons une sorte de cruauté dans les tâches qui ne sourient pas à l’enfant. Nous voulons, par exemple, qu’il dessine sans avoir étudié les éléments du dessin : c’est bien plus amusant ; il s’y met de bien meilleur cœur. Toute grammaire, celle de la langue comme celle du dessin, est longue, ennuyeuse et par surcroît inutile[1].

Inutile, car combien ne voit-on pas d’hommes qui parlent avec une suffisante correction, d’instinct, par habitude, par imitation et qui seraient incapables de formuler une règle, ou une définition grammaticale ? La mère qui guide le langage hésitant, bégayant de l’enfant, se met-elle en peine de tout cet appareil scolastique ? Et pourtant quel maître féru de grammaire peut se flatter d’obtenir les mêmes résultats ?

Inutile encore, si l’on veut bien considérer que la grammaire est la simple codification de l’usage, essaye seulement de le définir, le suit comme elle peut, d’assez loin d’ailleurs, d’une allure lourde et raide, mais n’a aucun titre à le devancer et à le réglementer. Fini, le temps des vieux grammairiens législateurs, qui se croyaient les arbitres du bon langage ! Une ère nouvelle s’est ouverte, où le grammairien, abdiquant toute autorité, ne se donne plus que comme un savant à la recherche du fait, heureux même d’un néologisme ou d’un archaïsme qu’il considère avec amour et pique, tels des papillons aux couleurs vives

  1. Telle était l’opinion de Flaubert. Au dire de Mme Courmanville, sa nièce, « il trouvait inutile d’étudier la grammaire, prétendant que l’orthographe s’apprenait en lisant et qu’il était mauvais de charger d’abstraction la mémoire d’un enfant » (Correspondance, t. I).