Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1909.djvu/507

Cette page n’a pas encore été corrigée
499
BIBLIOGRAPHIE

avec sa soubrette pour observer plus à loisir le fiancé qu’on lui destine ; et voici que Dorante, le fiancé, s’est avisé du même stratagème et a changé de costume avec son valet (Le Jeu de l’Amour et du Hasard). C’est ainsi que Marivaux construit le cadre où s’inscriront ses peintures psychologiques ; c’est par ces procédés qu’il prépare le cas à étudier : à la faveur de ces circonstances extraordinaires, le jeu des sentiments se révélera plus clair et plus frappant que dans la vie courante. Marivaux imagine ses intrigues comme le chimiste arrange des expériences dans son laboratoire, de manière à rendre plus facilement saisissables les actions et les réactions des éléments mis en présence.

Ce sont en effet des combinaisons subtiles, des transformations lentes que Marivaux s’efforce de noter, avec une étonnante acuité de regard. Le champ de son observation est limité : l’amour seul l’intéresse, et l’on a dit souvent que si l’on veut le rattacher à quelqu’un, c’est à Racine qu’il faut songer. L’amour est le {out de cette comédie comme il était le tout de la tragédie racinienne. Nous sommes, avec Marivaux, très loin de Molière et de ses imitateurs : plus de caractères abstraits et généraux, comme l’avare ou l’hypocrite, étudiés en cinq actes ; plus de satire, plus rien qui veuille faire rire aux éclats. Si ces pièces méritent encore le nom de comédies, c’est parce qu’elles aboutissent à un dénouement heureux, au mariage entre les deux personnages qui nous sont sympathiques. Mais, pour en venir là, il a fallu passer par tout un labyrinthe de malentendus, d’hésitations, de paroles données et retirées, et c’est à nous conduire à travers ces détours, sans rien omettre, que Marivaux consacre son talent. L’amour-propre, l’entêtement de garder une attitude qu’on a prise ou de soutenir une affirmation qu’on a lancée, gène l’amour qui grandit et n’ose s’avouer ; ou bien, pour être certains de ne pas être dupes, deux amants se tendent l’un à l’autre les pièges les plus imprévus, au risque de se faire souffrir, de se désespérer peut-être (Les Fausses Confidences, L’Épreuve) : jusqu’au moment où l’amour triomphera de la vanité et se déclarera, jusqu’à la péripétie où les deux amants, sûrs enfin de ne pas se tromper, s’uniront non sans quelque regret du temps perdu, la comédie de Marivaux 8e déroulera, exacte, lucide, minutieuse, marquera les pas en avant, les arrêts, les pas en arrière, copiera les nuances les plus fugitives et les plus légers changements de ton.

Telles sont les analyses dans lesquelles se résume le théâtre de Marivaux. Ce dont la lecture seule peut donner une idée, c’est la langue que parlent ces personnages : phrases courtes et claires, où se traduisent cependant avec une fidélité irréprochable les observations les plus raffinées et les distinctions les plus ténues ; dialogue soigné et spirituel, avec tout ce que le mot de « a marivaudage » comporte de recherche et de grâce, mais aussi, çà et là, avec des mots de passion, d’autant plus émouvants qu’ils sont plus simples et plus brefs. Marivaux était un ignorant, qui s’était formé dans les salons bien plus que par les livres : sa prose nous fait comprendre ce que