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BIBLIOGRAPHIE

réalisme de la littérature française par les parties réalistes de la littérature espagnole : toujours, entre Molière et les Espagnols, il a accentué, souligné les ressemblances, atténué, effacé les différences, faisant en sorte que toute la comédie de Molière, depuis les régions les plus hautes jusqu’aux données les plus communes, depuis la psychologie d’Alceste jusqu’aux plaisanteries burlesques, nous apparût comme d’origine castillane. C’est fausser les proportions réelles. On n’insistera jamais assez sur ce qui différencie Molière de ses prédécesseurs hispanisants, comme Racine de Corneille : avec toute la génération qui est au premier plan de notre littérature à partir de 1660, avec Boileau, Racine et La Fontaine, Molière attaque tous ceux qui s’écartent de la nature, soit pour la grandir à outrance, soit pour la raffiner à l’excès, soit pour la caricaturer ; nature et raison sont les règles de son esthétique. Cette direction de son théâtre, Molière ne l’a pas reçue de la comedia : au contraire, il a du s’épuiser en efforts pour la faire accepter d’un public à qui, pendant le demi-siècle précédent, l’influence de l’Espagne avait communiqué des goûts exactement inverses.

On trouvera donc dans ce livre, et c’est l’essentiel, beaucoup de renseignements positifs et de matériaux utiles ; on pourra faire ses réserves sur les conceptions de l’auteur, continuer à croire que Molière n’est pas, à l’égard de l’Espagne, dans cette dépendance étroite et permanente que dénonce M. H., et considérer qu’il ne sort pas de ces recherches aussi diminué que M. H. l’admettrait (p. ix). Un critique littéraire, en effet, si scientifique que soit son attitude, ne saurait s’abstenir de donner la mesure de son admiration pour l’écrivain dont il s’occupe : aussi M. H. dit-il dans son chapitre iv : « Il convient de considérer Molière comme supérieur ou inférieur aux auteurs dramatiques castillans ». Là comme dans le chapitre v, où il examine la « valeur universelle » des comédies de Molière, comme en maint autre passage de son livre, il est amené plus d’une fois à discuter les mérites de Molière, à le déclarer inférieur, dans le développement de telle situation ou le dessin de tel caractère, à l’auteur espagnol qui l’avait précédé, à affirmer qu’il voyait surtout la nature à travers les comédies des autres, à lui reprocher ce qu’il y a d’abstrait et de peu vivant dans ses personnages, de peu élevé dans sa morale.

On est souvent enclin à trouver M. H. trop sévère ; mais il faut avouer qu’il a pour sa défense une excuse excellente, à savoir l’exagération à laquelle les fanatiques de Molière ont porté le culte de leur auteur. M. H. cite abondamment les sentences des moliéristes pour qui toute critique contre Molière, même la plus timide, est un blasphème : pour eux, la suprématie de Molière est un dogme, Molière est le plus grand poète de tous les temps, sa comédie est une espèce de miracle, un chef-d’œuvre absolu, M. H. a bien raison d’être agacé par de telles prétentions, et l’on pardonne la vivacité de ses ripostes. Il n’y a pas de miracle, il n’y a pas d’absolu, il n’y a pas d’écrivain