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LA MUTUALITÉ

spécifique profonde, que le fonds commun n’est qu’un mode très défectueux d’assurance contre la vieillesse. Je ne vois pas ce que l’adoption du livret individuel ferait perdre à l’altruisme au sein des sociétés de secours mutuels ; mais je vois très bien ce qu’elle lui ferait gagner.

Le paradoxe est facile à justifier. Serait-il possible, d’abord, utile ensuite, en conservant le fonds commun et en l’« élargissant », de « donner à l’idée mutualiste et altruiste le pas sur l’idée égoïste ? » Et si, bien comprises l’une et l’autre, elles ne sont à vrai dire que les deux faces de la même idée, les deux pôles de l’ordre social, la première aurait-elle néanmoins « une valeur sociale et éducative infiniment supérieure à la seconde ? » — M. Alengry le croit, et nombre d’esprits avec lui. — Mais il me permettra d’en douter, si ces deux moitiés de la vérité s’éclairent l’une l’autre, et doivent aller de pair, chacune trouvant dans l’autre son guide, son criterium le plus sûr, et son indispensable correctif. Le premier et le plus nécessaire altruisme se rencontre dans la famille, qui ne serait pas sans lui : c’est l’affection, le dévouement de son chef pour tous ses membres. Comment le travailleur pauvre qui s’unit à ses semblables contre la maladie, la vieillesse ou la mort, ne songerait-il pas avant tout et surtout à sa femme et à ses enfants, dont l’intérêt est identique au sien ? C’est pour « s’assurer » qu’il se décide à « aider » les autres, à « coopérer » avec eux. Et il ne leur apporterait pas son obole sans un « espoir précis de retour. » Qu’il comprenne de mieux en mieux que, dans l’association mutualiste, les intérêts de tous sont étroitement solidaires, que chacun donne et reçoit dans la même mesure, rien de plus désirable. Ce sentiment le redressera dans la conscience de sa force et de sa dignité. Qu’à l’occasion, pour venir en aide à la détresse d’un camarade mutualiste, frappé par la maladie ou par les infirmités de la vieillesse, il abandonne spontanément sa part de boni dans l’assurance-maladie, rien de mieux encore. Mais que, d’une manière permanente, par l’effet inévitable et automatique d’un vice constitutionnel de l’institution mutualiste choisie, il se prive d’une partie des avantages que cette institution a précisément pour objet de lui procurer, c’est ce qu’il ne peut faire, délibérément et consciemment, sans manquer de logique et de sens pratique, sans