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REVUE PÉDAGOGIQUE

va contre ses intentions et son but. Et, sans dégrader aucun d’eux, elle profiterait à tous, indirectement, mais réellement. Elle accroîtrait en effet la sécurité des mutualistes avec leur nombre, et réduirait la charge proportionnelle de chacun d’eux.

Car « les intérêts légitimes sont harmoniques. » (Bastiat). Et l’intérêt personnel, que l’on ravale sous le nom d’égoïsme, est, tout autant que l’altruisme, un mobile fondamental de la nature humaine, un facteur essentiel de l’ordre social. Le progrès social, notre objectif commun, se lie intimement à la perception toujours plus nette, et de plus en plus généralisée dans les consciences, de l’accord des intérêts particuliers dans le plan de la justice. L’individualisme bien entendu rejoint le solidarisme véritable, et, loin de le contredire, il s’identifie avec lui dans l’ordre social naturel. Il est l’antipode de l’égoïsme, qui sacrifie autrui à soi, sans s’apercevoir qu’il se diminue et se détruit ainsi lui-même.

De fait, sinon d’intention, toute prévoyance qui ne sort pas des limites de la Justice, est « altruiste en même temps que personnelle ; » elle ne saurait être « exclusivement égoïste ». Fonds commun ou livret individuel, sociétés de secours mutuels et sociétés d’assurances ne diffèrent pas essentiellement à cet égard. M. Alengry le conteste. « Il y a, dit-il, dans toute mutualité, un élément d’assurance et de calcul égoïste, mais il s’y trouve aussi un élément d’abnégation et d’aide réciproque et désintéressée qui distingue radicalement ces deux modes d’association. » Je ne nie pas que les membres d’une société de secours mutuels qui se voient, se coudoient chaque jour, et qui se connaissent bien, sympathisent à un tout autre degré que les clients d’une compagnie d’assurances, ou les déposants à la Caisse des retraites, qui ne se connaissent pas et ne peuvent se connaître. Mais cette « distinction radicale » n’exprime que la différence de nature des risques assurés : maladie d’une part, vieillesse de l’autre. C’est la distinction de la mutualité-maladie, — restée en fait la spécialité et la raison d’être des sociétés de secours mutuels, après avoir été longtemps leur unique objet, — et de la mutualité-retraite, dont l’organisation efficace et sérieuse, sur des bases rationnelles, exige de beaucoup plus vastes groupements. C’est, entre autres raisons, parce qu’il méconnaît cette différence