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CHARLES BIGOT

pendant la guerre de 1870-71 et à tous ceux qui ont combattu alors pour la France, jusqu’aux dernières phrases qui parlent d’espérance et commentent, en l’appliquant à la France entière, la devise de la ville de Paris : Fluctuat, nec mergitur, le livre est emporté d’un même souffle. Je défie qu’en le lisant on ne se sente pas gagné par le sentiment qui l’a dicté. Il n’y a rien, à ma connaissance, d’aussi entraînant, d’aussi chaud ni d’une aussi belle venue dans tout ce qu’on a écrit pour nos écoles. Quelques pages, il est vrai, sont d’un patriotisme si vibrant, d’un accent si douloureux, qu’on les a trouvées un peu agressives. Moi-même, s’il m’en souvient bien, pénétré comme je le suis du devoir que nous avons tous de semer par l’éducation le moins possible de germes de haine, le plus possible de germes de paix, je crois lui avoir fait part d’un scrupule de ce genre à la première lecture de certains passages. Mais il ne faut, pour retirer ce reproche, que voir l’ensemble de l’ouvrage et se remettre dans le mouvement de la pensée. La pensée est partout d’une élévation irréprochable. Point de chauvinisme indigne du pur génie français nulle idée de représailles qui ne soit subordonnée à l’idée du droit. Quand l’auteur parle à son petit Français de ces futurs combats où il veut qu’il soit prêt à donner joyeusement sa vie, il a bien soin de lui dire : « La cause pour laquelle tu combattras sera celle de la justice ; et cela aussi est une force. » Aucun maître français, en cultivant l’esprit militaire dans la jeunesse, ne se place dans une autre hypothèse ni n’obéit à un autre sentiment.

Avec tout cela, Bigot n’a pas donné sa mesure comme écrivain. Les conditions hâtives dans lesquelles il a presque toujours écrit, jointes à cette facilité qui le faisait produire sans effort, ont fait qu’il s’est prodigué au jour le jour, sans se résumer dans une œuvre achevée. Il a jeté des trésors en excellente monnaie, sans prendre le temps de frapper des médailles.

Je me trompe : il laisse un ouvrage inédit, qu’on ne peut manquer de nous donner et qui, médité à loisir, écrit avec amour, traitant d’ailleurs d’un sujet dont l’intérêt est éternel, sera, je crois, de nature à faire vivre son nom. C’est un essai sur le Monde, une sorte de philosophie des relations sociales, entremêlée de portraits à la manière de La Bruyère. J’ai dû à l’amitié de Charles Bigot d’avoir la primeur de cet ouvrage, qui devait être dans sa