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REVUE PÉDAGOGIQUE

eût aimé à le faire. Il aurait été, j’en suis sûr, de ces examinateurs qui, non contents de ne tenir aucun compte des recommandations qu’ils reçoivent, en savent très mauvais gré aux candidats qui en sont l’objet. Quand je le connaissais encore peu, il m’est arrivé d’appeler son attention sur une œuvre qui la méritait à tous égards, la restauration architecturale d’un temple grec, exposée alors au Salon pour la première fois, mais consacrée depuis par le jugement unanime des artistes et des archéologues. Tout ce qu’il put faire pour l’auteur et pour moi fut de n’en point parler. J’ai souvent pensé depuis qu’il n’avait sans doute pas même voulu voir cet ouvrage, dont il eût été fâché d’avoir à dire du mal, et dont il ne pouvait plus dire de bien, dès que j’avais fait la faute de le lui recommander.

Bien entendu, son indépendance n’était pas moindre ni moins ombrageuse en politique. On sent quelle force est pour une cause un homme de cette fière probité, armé d’un talent d’écrivain. Non seulement il fut toujours d’un désintéressement absolu, ne demandant, n’attendant rien pour lui-même, mais sa manière était essentiellement large et haute. Jamais une personnalité, jamais un petit sentiment. Sa prose, naturellement sereine, s’anime sous le souffle de l’idée, mais demeure toujours l’organe du bon sens public et de la plus droite raison. Si elle s’exalte à l’occasion, ce n’est jamais que pour la France ou pour la liberté ; si elle s’irrite parfois, c’est seulement contre ce qui menace l’une ou l’autre. On a dit en toute justice qu’il avait honoré le journalisme français. Ce n’est pas ici une formule banale : peu d’hommes auront autant fait que lui pour placer très haut dans l’estime publique une profession qui, pratiquée de la sorte, n’est que l’exercice constant de l’activité civique.

Tout passe si vite, qu’avant peu on aura presque oublié les luttes qu’eut à soutenir la presse libérale de 1871 à 1879 pour assurer le triomphe de la République. Ceux qui s’en souviennent savent que ce ne fut pas une petite besogne, et quel service ont rendu les écrivains qui, comme Bigot, ont été sans cesse sur la brèche durant cette période héroïque. S’il leur arrivait d’être agressifs en apparence, s’il était plus naturel, par exemple, à l’esprit d’About de porter des coups que d’en recevoir, personne en réalité ne s’y trompait leur modération égalait leur verve. Ils défendaient