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CHARLES BIGOT

ticulièrement un homme vrai. Il avait horreur de toute dissimulation, de tout mensonge, même des menues complaisances de langage qu’autorisent communément et qu’exigent presque nos habitudes sociales. Cela lui faisait une physionomie très particulière comme homme du monde, d’autant plus qu’il était d’une courtoisie parfaite à sa manière, ayant cette politesse rare qui est faite de sympathie vraie et de bienveillance. Mais ses sympathies n’étaient point banales. Il ne pardonnait pas volontiers aux autres les petites lâchetés, les excès de souplesse, les grâces intéressées dont il eut rougi pour lui-même. Le calcul et l’intrigue le trouvaient sans pitié. Son franc-parler lui était si cher que, plutôt que de paraître l’abdiquer, il aimait mieux forcer l’expression de sa pensée, au risque de se faire méconnaître de ceux qui ne le connaissaient pas encore. Le plus tolérant des hommes et le plus doux, le plus foncièrement libéral, put ainsi quelquefois sembler violent en ses opinions, de peur de manquer à ce qu’il leur devait. Courage rare, dont personne que je sache ne lui tint jamais rigueur, mais qui, au contraire, imposait l’estime à tout le monde, et lui fit des amis de gens d’abord prévenus.

Et il soutenait ses amis comme ses opinions. Il n’y avait qu’une chose qu’il leur préférât : la vérité. Devant elle, ou ce qu’il prit pour elle avec une bonne foi que personne n’a jamais suspectée, il fit toujours céder toutes les considérations d’un autre ordre, naturellement, par une pente irrésistible de sa nature, sans penser qu’il pût y avoir une ombre de mérite à cela. Ce trait de son caractère est deux fois remarquable chez un journaliste, dans un temps où l’on sait le rôle scandaleux de la réclame, la part des complaisances et des camaraderies dans la fabrication des renommées que la presse fait et défait d’un jour à l’autre. Lui, dans les vingt-deux ans qu’il tint la plume, n’en a pas laissé échapper une ligne qui ne fût l’expression toute pure de sa pensée. Ce critique d’art, qui connaissait familièrement tant d’artistes, ce critique littéraire qui avait pour amis la moitié des écrivains de son temps, n’a pas cédé une seule fois à la tentation de forcer l’éloge d’une œuvre par amitié pour son auteur. C’est bien plutôt de la tentation inverse qu’il avait à se défendre. Son mépris des petites chapelles et sa crainte de donner dans de plates complaisances ont dû l’empêcher bien des fois de louer aussi chaudement qu’il