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REVUE PÉDAGOGIQUE

Albert. Il ne voulait battre en retraite qu’en bon ordre, et réussissait, chose à peine croyable, à le faire sans découragement apparent, avec une sérénité presque souriante, qui nous remplissait d’admiration. Personne de nous ne l’entendit jamais se plaindre. On eût dit que l’affection sans bornes qui veillait sur lui faisait vraiment ce miracle de lui conserver l’illusion. Elle faisait mieux, elle s’était mise avec lui à ce niveau où l’on n’a plus besoin d’illusions pour faire bon visage à sa destinée. Elle lui adoucissait les perspectives même que rien ne pouvait lui cacher. M. Alfred Rambaud, dans l’article qu’il a consacré à notre ami (Revue Bleue du 22 avril), après avoir mis en relief la grandeur simple d’une telle fin couronnant une vie de travail et d’honneur, termine par cette remarque : « Ce serait une page à ajouter au Petit Français, que la vie de Charles Bigot. » Oui. Et quel exemple y trouveraient aussi les jeunes Françaises ! Et quelle réponse à ceux-là (s’il en reste) qui ont peur que la culture de l’esprit ne détruise chez la femme les vertus domestiques ! Sans doute, le cœur suffit à faire des prodiges, et il en est qu’il peut seul faire, et c’est par lui surtout que valent les femmes. Mais comment ne pas faire remarquer que le cœur qui a allégé, partagé plus de cinq ans avec une incomparable abnégation le martyre de Bigot, était servi par une intelligence d’une culture raffinée, que la main qui écrivait sous la dictée de ce malade a écrit pour son propre compte des livres distingués, et qu’enfin ces conditions mêmes ont seules rendu possible cette touchante collaboration qui a été plus qu’une consolation pour notre ami, qui lui a permis de travailler avec joie jusqu’à son dernier souffle ?

Charles Bigot fut un caractère. Comme il arrive aux hommes qui sont des caractères, surtout quand ils donnent à la presse et à l’enseignement le meilleur de leur activité, l’œuvre qu’il laisse ne donne qu’une idée très incomplète de celle qu’il a réellement accomplie. Ce serait donc lui faire tort que de nous attacher à ses ouvrages sans avoir d’abord insisté sur ce qu’il fut comme homme et comme journaliste.

Honnête homme dans toute la force du terme, il fut tout par-