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CHARLES BIGOT

Ce fut un beau moment dans la vie de Bigot que les années où nous le vîmes mener de front toutes ces tâches, non seulement sans fléchir, mais avec l’ivresse de l’activité utile et joyeuse, aussi complètement à chaque besogne que s’il n’en avait eu qu’une, toujours de loisir pour ses amis, toujours gai, accueillant, hospitalier, jouissant du monde qu’il connaissait mieux que personne, recherché dans les salons, mais préférant encore à tout l’intime causerie avec des camarades autour de son heureux foyer. « Nulle part, dit-il dans l’avant-propos du Petit Français, on ne travaille autant qu’à Paris. » Il en était la preuve vivante. Hélas ! il le fut aussi de cette vérité désolante que, nulle part, il n’est plus difficile de garder la mesure dans le travail. Entre les oisifs qui ne font rien qui vaille et les laborieux qui se tuent sans s’en apercevoir, il n’y a presque point de milieu. Et, chose non moins déplorable, il n’est pas rare que des laborieux même, qui auraient eux aussi des talents, cherchent longtemps en vain l’emploi de leurs facultés, pendant que plient sous le faix ceux que la notoriété a tirés de pair.

Qui pourrait ajouter impunément, aux fatigues du journalisme quotidien, — les pires de toutes, — les fatigues de l’enseignement et de la production littéraire (suffisantes à elles seules pour avoir raison des plus robustes) ? Sans parler de la critique théâtrale, que Bigot avait conservée au Siècle, et qui, dans des conditions particulièrement excitantes, insidieuses par conséquent, l’amenait à prendre sur ses heures de repos. Tout à coup sa santé parut atteinte. L’avertissement fut cruel, et malheureusement tardif, le jour où sa main ne put plus tenir elle-même cette plume dont il avait si bien usé. Il ne se fit pas d’illusions, mais il se soigna en conscience, fut étonnant de sang-froid et de courage dans cette lutte de plusieurs années contre un mal implacable : lutte d’une belle intelligence, lumineuse jusqu’à la dernière minute, contre les organes qui lui refusaient leur service ; lutte d’un cerveau merveilleusement intact contre la révolte des nerfs surmenés.

Sa maison n’en fut que plus chère à ses amis ; son commerce n’en était que plus attachant. Il ne quitta qu’une à une ses occupations, le plus tard possible, et à mesure que la maladie l’y forçait ; alla à Saint-Cyr notamment, aussi longtemps qu’il put s’y rendre avec le secours dévoué de son jeune collègue, M. Maurice