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REVUE PÉDAGOGIQUE

leur dans la jeunesse : la vivacité et la franchise des impressions, la chaleur des sympathies, le désintéressement, la foi en l’idéal, le mépris décidé de toute vilenie.

Il sortit de l’École normale agrégé des lettres et partit en 1864 pour l’École française d’Athènes, c’est-à-dire d’abord pour Rome, étape obligée, que nul ne s’aviserait de brûler volontairement. Ce premier séjour à Rome et ceux qu’il y fit dans la suite eurent de deux manières sur la vie de Bigot une influence décisive. Il connut là l’élite des artistes de sa génération, se fit autant d’amis de la plupart des peintres, sculpteurs, architectes, musiciens, eu qui s’incarne aujourd’hui l’art français, et, s’initiant auprès d’eux à l’esthétique générale comme il avait fait par ses études à l’esthétique littéraire, se prépara inconsciemment à devenir un des critiques d’art les mieux informés, les plus respectés de notre temps. D’autre part, c’est à Rome aussi qu’il connut par Henri Regnault l’excellent portraitiste américain M. Healy et sa belle famille, dans laquelle il trouva la femme supérieure qui devait être la compagne de sa vie.

Il y a diverses manières de profiter du séjour d’Athènes, qui ne s’excluent pas sans doute, mais ne s’unissent pas non plus nécessairement. La plupart des élèves de l’École se donnent à l’érudition, entreprennent, s’ils le peuvent, des fouilles archéologiques c’est ce que nous regardons, en général, comme leur fonction propre. Mais ainsi ne l’entendaient pas ceux de nos vieux maîtres qui étaient de purs humanistes. J’ai entendu l’un d’eux déplorer amèrement, comme une sorte de trahison, qu’un premier agrégé des lettres, homme de goût et déjà un écrivain, pût laisser là les humanités « pour aller ramasser des pierres en Béotie ». Tout le monde n’a pas d’ailleurs la bonne fortune de faire une découverte. Il arrive donc nécessairement qu’une partie de ces jeunes gens reviennent, je ne dis pas les mains vides, car on peut trouver que ce sont parfois les plus riches, mais avec le gain tout intime qu’on rapporte du plus beau des voyages, fait dans les plus heureuses conditions : avec une moisson de connaissances et de souvenirs, l’esprit élargi, le goût formé, l’âme à jamais exaltée par des émotions ineffaçables. C’est de ceux-là que fut Bigot.

Au temps où lui et ses camarades revinrent d’Athènes, l’Uni-