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REVUE PÉDAGOGIQUE

D’autre part, j’ai collectionné des compositions : à l’école de Fort-National, ni en style, ni en orthographe, ni en calcul, les petits Kabyles ne le cèdent à leurs camarades français. Parfois on voit quatre ou cinq noms musulmans s’aligner en tête de liste. Le jour de la distribution des prix, on est surpris de voir combien de Mohamed et de Belcassem sont proclamés parmi les lauréats. Au commencement, on distribuait, comme prix, des livres dorés aux Européens et des vêtements aux indigènes. Les élèves musulmans s’en sont offensés. Ces va-nu-pieds préfèrent un volume de Jules Verne à une paire de souliers.

Assurément il entre dans leur ardeur pour l’instruction des calculs utilitaires. Ils rêvent, quand ils auront conquis leur certificat d’études, de devenir moniteurs dans quelque école, khodja ou interprètes, chaouch ou huissiers auprès d’une justice de paix, au besoin facteurs ruraux ou cantonniers. N’oublions pas que « les Kabyles sont pauvres ».

Et puis, est-ce qu’en France nous recherchons toujours et uniquement la science pour la science ?

Comme on a vivement récriminé contre les dépenses de construction pour ces trois écoles, qu’on a qualifiées naturellement de « palais scolaires », je voudrais dire quelques mots pour leur défense. Il est vrai qu’elles ont coûté plus cher qu’on ne l’avait prévu : quarante-cinq mille francs en moyenne. Mais il a fallu hisser les matériaux quelquefois sur des hauteurs de quatre cents mètres, consolider des terrains détrempés par les sources, faire porter les briques, les pierres, même la chaux, à dos d’âne ou de mulet, et un bourricot, dont la journée revient à trois francs par jour, ne porte pas beaucoup de matériaux à la fois par les mauvais sentiers ou par les gués des rivières.

« Palais scolaires », c’est bientôt dit. Je crois que ce luxe relatif n’a pas été inutile. C’est un premier enseignement donné aux indigènes que ces confortables maisons à la française. Elles contribuent à leur donner une idée du prix que nous attachons et qu’ils doivent attacher à l’instruction. Elles les avertissent que c’est chose grande et noble : une chose impériale, comme disait Luther ; une chose beylikale, comme ils disent, Et ils voient le drapeau de la France flotter sur la façade.

Elles leur donnent encore d’autres leçons. Connaissez-vous la