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REVUE PÉDAGOGIQUE

étroite et basse, aux murailles nues. Quelques bancs mal équarris. Sur ces bancs, une vingtaine d’enfants, à peine vêtus de burnous rapiécés, de gandouras trouées, coiffés de calottes sordides. Mais leurs petites têtes brunes, solides et carrées, leurs grands yeux clairs, pétillants d’intelligence, font plaisir à voir, et par la fenêtre ouverte, qui découvre un peu de ciel bleu, la lumière, l’air pur entrent à flots.

Voici le maître de cette classe pittoresque. C’est une jeune fille, une monitrice kabyle, une sæur aînée de ses petits élèves. Sur ses cheveux épais, une sorte de coiffe noire à franges : par-dessus sa gandoura blanche, une camisole multicolore à larges manches, une ceinture rouge, des babouches noires, bref un costume composite, moitié indigène, moitié européen. Elle a été instruite, formée à cette école orphelinat de Thaddert-ou-Fella dont le succès extraordinaire a frappé d’étonnement et d’admiration tous ceux qui l’ont visitée. Fatma (c’est le nom de notre jeune institutrice) est un exemple de ce que l’on pourra faire un jour, plus tard, des femmes kabyles, lorsque le moment sera venu de les instruire dès leur enfance et de leur donner une éducation française. Fatma parle notre langue avec une pureté irréprochable ; elle enseigne avec méthode, patience et douceur ; elle a dans ses manières la réserve, le tact, la distinction d’une jeune fille bien élevée et du meilleur monde : d’esprit et de cœur, c’est une Française.

Nous étions inquiets sur l’avenir de cette aimable fille ; nous nous demandions ce qu’elle deviendrait, elle civilisée, dans ce milieu barbare. Fatma, si timide qu’elle soit, a de l’esprit ; elle a pris le bon parti, elle s’est mariée. Et même elle s’est très bien mariée. Elle a donné sa main à un indigène francisé comme elle, à un instituteur comme elle ; elle a épousé M. Hand-ou-Ibrahim, originaire de la tribu des Beni-Fraoucen, ancien élève du cours normal d’Alger. Ils s’aiment tous deux. Ils se sont mariés avec le consentement du père de Fatma, un homme d’âge, très pratique et très sérieux, que j’ai vu à Azrou-Kola, et qui se nomme Abouhatem. La cérémonie nuptiale a eu lieu suivant la coutume kabyle, devant le président de la tribu, devant les notables de la djemaâ (conseil municipal).

Écoutez maintenant la suite de cette histoire :

Un Kabyle de Djemaâ-Sahridj, qui s’appelle Tabar-ou-Rhamoun, a intenté un procès au père de Fatma, sous prétexte que celui-ci s’était engagé à lui donner sa fille en mariage, c’est-à-dire à la lui vendre. Car le mariage kabyle est une vente pure et simple.

L’affaire a eu son dénouement le 16 octobre 1891, à Mékla, centre européen, voisin de Djemaâ-Sahridj. Il y a là un juge de paix suppléant que je ne connais pas, dont je ne veux pas savoir le nom, qui sans aucun doute a agi de bonne foi, ceci n’est pas en question. Voici ce qu’il a fait. Ce juge de paix suppléant, représentant à l’audience foraine M. le juge de paix de Fort-National, a décidé que le sieur Abouhatem, ayant promis sa fille Fatma au sieur Tahar-ou-Rhamoun, devait opérer la livraison stipulée, et comme un autre mariage avait