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NÉCROLOGIE

Plus tard, en 1860, les portes de la patrie s’étant rouvertes, la famille revint à Paris. Mlle Nancy Fleury ouvrit obscurément un Cours, d’abord suivi par trois ou quatre jeunes filles, mais qui, grandissant peu à peu en nombre comme en crédit, devint au bout de quelques années une des forces vives de l’éducation libérale à Paris. Le mercredi de la semaine sainte, dernier jour du semestre scolaire, Mlle Fleury congédiait ses deux cents élèves en les ajournant au lundi 14 avril. Cinq jours après, on apprenait qu’elle était morte !

C’est à ces élèves elles-mêmes qu’il appartiendrait de nous expliquer ce qui donnait un tel ascendant à leur maîtresse et tant d’efficacité à son enseignement. Comment les deux couples d’heures que l’on venait passer dans le paisible appartement de la rue de Seine suffisaient-elles pour donner le branle au travail de toute la semaine et, à la longue, pour mener à bonne fin une éducation sérieuse et complète ? C’était le secret de Mlle Fleury : les leçons proprement dites, avec leurs interrogations et leurs brèves explications, tout imprégnées des qualités solides du professeur ou de la directrice, n’étaient peut-être que son moindre moyen d’action ; le principal, autant qu’il nous est permis d’en juger du dehors, c’était l’impulsion et la direction données au travail personnel, et par dessus tout le bon choix des lectures prescrites ou recommandées, et par cette voie l’air et la lumière se répandant en tous sens dans les jeunes esprits.

Nous touchons peut-être ici à l’un des points faibles de notre enseignement public, tel qu’il a été renouvelé dans les dernières années. Certes, il n’est contestable pour personne qu’il s’est accompli un progrès considérable dans les méthodes comme dans les programmes on sait aujourd’hui davantage, et l’on enseigne de mieux en mieux. Mais le mal est que la leçon envahit tout : c’est-à-dire que le professeur et le manuel se chargent de pourvoir à tous les besoins, et que les élèves de tout âge font peu, très peu de lectures libres ; de ces lectures variées, intéressantes, instructives qui sont la vie même des études et le plus actif ferment des esprits. On ne lit pas assez dans nos écoles ; on n’est pas exercé à lire, on ne contracte pas le goût de lire ; et c’est ce qui explique en grande partie pourquoi la faculté d’invention est si pauvre, et pourquoi l’instruction, même perfectionnée et élargie, garde à tous les degrés un caractère formel. L’activité spontanée de l’intelligence n’est pas provoquée, nourrie, soutenue par le commerce direct et aisé, soit avec les grands maîtres qui ont éclairé ou charmé l’humanité, soit avec des livres moins importants d’histoire, de littérature, de voyages, de morale, de sciences naturelles ; on en est réduit à la leçon du professeur et au livre de classe.

Il n’en était pas ainsi, à ce qu’il semble, pour les élèves de Mlle Fleury. Les heures réservées aux leçons étant courtes et rares, c’est aux lectures, aux longues lectures, comme à un maître auxiliaire à domicile, que revenait le soin de compléter les instructions