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REVUE PÉDAGOGIQUE

dignité du caractère, le tour d’esprit indépendant et sérieux. Il se répandait très peu au dehors, tous pourtant l’aimaient et le respectaient.

Ses études finies, il fut l’un des premiers parmi nous à prendre le chemin des universités allemandes, où le portait le besoin de soumettre ses croyances traditionnelles à l’épreuve d’une science plus rigoureuse. Il visita particulièrement Halle et Berlin, et y suivit régulièrement les cours des maîtres les plus renommés. À cette époque la France et l’Allemagne n’étaient pas séparées par les barrières qui s’opposent aujourd’hui à toute communication intime. Au retour il s’arrêta dans la savante école de Strasbourg, qui était alors une école française, et un foyer d’études unique en son genre où les méthodes de recherche et d’enseignement en philosophie, en théologie, en philologie, dans les sciences même, participaient à la fois du génie français et du génie germanique. De toutes les blessures que nous a faites le traité de Francfort, aucune peut-être ne nous a atteints plus au vif que la perte de ce grand creuset scolaire où s’alliaient continuellement les deux races. Il n’y a pas seulement ici plaie de territoire toujours saignante ; il y a plaie d’âme ; c’est la vie morale du pays appauvrie dans ses sources. S’il en est parmi nous qui ne s’en soient pas encore aperçus, tout occupés qu’ils sont du dommage matériel et du prestige effacé, ils le ressentiront cruellement dans les divers domaines de l’activité nationale le jour où la génération franco-alsacienne, encore présente dans nos rangs, aura cessé de nous souffler son esprit.

Goy avait longuement profité de son voyage pour sa culture d’esprit ; mais je ne pense pas qu’il en ait éprouvé un changement notable dans sa manière d’être et de penser. Ses dispositions naturelles s’accordaient sur plus d’un point avec celles dont l’Allemagne s’attribue volontiers le privilège, mais qui en fait n’ont jamais cessé d’honorer notre race. Esprit méditatif et philosophique, il était porté dès la première heure de sa vie intellectuelle à voir les choses par le dedans, mieux encore à leur source première, au sein du tout dont elles font partie, et c’est par là qu’il a toujours été religieux jusqu’à la moelle ; si c’est être religieux que de rattacher sa pensée, son âme entière et sa vie, à la vie, à la pensée universelle, à Dieu même ; mais avec cela esprit libre et critique entre tous, incapable d’aliéner sa liberté à une tradition, à un dogme positif, pas plus qu’à une définition philosophique fixe et officielle. Ajoutez pour compléter cette physionomie complexe les traits charmants du Girondin, mais voilés de bonté, de discrétion morale et de modestie ; la finesse, l’ironie même (qu’il aurait maniée supérieurement s’il ne s’était retenu), la bonne humeur, une très vive sensibilité. Et que n’aurais-je pas à dire de son amour ardent pour sa patrie, et de sa fidélité aux vieilles amitiés !

Revenu dans son pays (1892) Goy fut pendant huit ans environ le