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LA PRESSE ET LES LIVRES


Edmond About jugé par M. Ernest Renan. — À l’occasion de l’inauguration du monument élevé à la mémoire d’Edmond About au cimetière du Père-Lachaise, le 20 décembre dernier, M. Ernest Renan, qui représentait l’Académie française, a prononcé un discours où il a très heureusement caractérisé l’esprit d’Edmond About et son œuvre. Nous le reproduisons ci-dessous :

« Oh ! voilà bien, messieurs, ces traits que nous aimions ! Voilà bien ce sourire qui courait sur les lèvres de notre confrère quand il écrivait tant d’œuvres charmantes ; voilà cette figure épanouie, où se lisait dès le premier abord la philosophie à la fois ironique et aimable qui l’a soutenu dans sa carrière d’ardente activité. Quelle riche nature, messieurs ! quelle surabondance de sève ! quelle prodigalité de vie ! Quelle joie ce fut pour nous, en ces années de tristesse qui marquèrent le milieu de notre siècle, de voir entrer dans le champ-clos des grandes luttes ce brillant jeune homme, vrai petit-fils de Voltaire, en qui le vieil esprit français, ce vaincu qui ressuscite toujours, semblait narguer allègrement ceux qui l’avaient cru mort, et s’écrier : « Je vis encore ! » Oui, entre plusieurs débutants illustres, grâce auxquels notre pays, humilié par tant de révolutions mal concertées et de réactions aveugles, put répondre, après 1848, aux défis qu’on lui adressait, About fut celui qui continuait avec le moins de mélange notre ancienne tradition. Il avait la qualité dominante de l’esprit français, l’honnête droiture, la clarté. Voltaire fut avant tout un esprit honnête ; About le fut aussi au plus haut degré. Demander à de tels hommes de porter éternellement un masque sur leurs visages, d’accepter docilement ces conventions, souvent puériles, auxquelles le grand nombre a peu de mérite à se soumettre, c’est demander à la lumière de ne pas aller en ligne droite. L’atmosphère où ils vivent est d’une transparence absolue ; le mystère n’a pas de sens pour eux ; comme la lumière électrique, ils fouillent tous les replis et rendent le mensonge difficile ; les ridicules qu’ils aperçoivent, il leur est impossible de ne pas les stigmatiser.

» Est-ce là de l’égoïsme, de la froideur ? Oh ! non, certes. Ces adversaires impitoyables des teintes fausses et des demi-jours aiment la vérité. L’hypocrisie leur inspire un véritable soulèvement de cœur ; les dogmes qui fuient la pleine lumière les agacent. À toute proposition de dissimuler ce qu’ils pensent, ils répondent : « À quoi bon vivre, si l’on n’a plus de cause pour vivre ? »

» Un amour fort, d’ailleurs, un amour dominant était le principe moral de cette âme que des critiques superficiels ont qualifiée de frivole. C’était l’amour de cette pauvre France, à laquelle il devait ce