Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1888.djvu/125

Cette page n’a pas encore été corrigée
115
DISCOURS DE M. GRÉARD À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

à l’amitié, à tous les sentiments qui honorent l’homme d’État. Quand à travers ses discours et ses articles on suit le détail de sa double polémique, on n’est pas moins frappé de sa vaillance que de sa souplesse. Il n’a pas tenu à lui que ses Mémoires, dont il avait corrigé les épreuves, ne fussent publiés de son vivant : il eût voulu être là pour affronter la critique et en soutenir le choc. Il aimait la lutte. Les documents de la Révolution nous montrent les Vendéens de 1793 saisissant le fusil au premier signal, et courant se battre, une semaine, un mois, le temps que durait la campagne, puis revenant paisiblement à la charrue. Tel je me représente M. de Falloux dans sa retraite du Bourg-d’Iré. L’oreille tendue à tous les bruits du dehors, il veillait. On l’avertit, on le consulte, on réclame le concours de sa parole ou de sa plume : il se jette dans la mêlée, gouverne l’attaque et la défense, fait tête de tous côtés : l’alerte passée, il rentre dans le repos de ses champs jusqu’à ce que les événements viennent l’y relancer. Il était l’âme de son parti. Dans les négociations qui s’engagent, il n’est d’aucune mission, mais il possède tous les secrets. Plus d’une fois un siège lui fut offert à la Chambre et au Sénat ; il refusa, non par l’orgueilleux désir de se grandir dans l’isolement, mais par un désintéressement sincère. Il préférait l’influence aux honneurs, la direction au pouvoir : il n’avait que les grandes ambitions. Rare élévation de sentiment, d’autant plus admirable que M. de Falloux ne l’ignorait point : assailli avec autant de violence par ceux qui professaient ses principes que par ceux qui les combattaient, il courait le risque de tomber sous leurs feux croisés ; et « quand, connaissant de vieille date ce péril, on s’y expose, » écrivait-il presque à la fin de sa carrière sans illusion, sinon sans amertume, « c’est qu’on croit accomplir un dernier devoir et rendre un dernier service ».

À ces tristesses généreuses ne dut-il pas s’ajouter parfois d’autres angoisses ? Cet esprit si pénétrant, témoin des divisions qui déchiraient son parti, ne voyait-il pas celles qui travaillaient la France ? M. de Falloux connaissait trop la puissance de l’opinion pour n’en pas comprendre les enseignements ; il était trop attentif aux courants de l’esprit public pour ne point reconnaître, sous les troubles de la surface, la transformation profonde qui est à la fois l’honneur et le péril de notre temps. Une société nou-