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improvisés sans doute et autodidactes, mais leur pédagogie spontanée, pour n’en être qu’aux tâtonnements, pour se débattre encore péniblement contre la scolastique, révélait pourtant je ne sais quoi de neuf, de jeune et de confiant ; elle était déjà française d’esprit et d’âme, même quand elle écrivait en latin.

Il est vrai qu’elle n’a pas duré ; il est vrai que l’œuvre hardiment ébauchée par ces ouvriers de la première heure ne leur a guère survécu : l’Inquisition et les Jésuites en ont eu promptement raison ; trente ans après François Ier, collèges laïques et livres laïques avaient disparu ou allaient disparaître. Les guerres religieuses achevèrent d’anéantir toutes les espérances des Dolet et des Estienne, des Ramus et des Sturm, des Claude Baduel et des Mathurin Cordier. On ne comprit même plus l’idée inspiratrice de la Renaissance à son début, cette idée d’un développement tout humain, naturel et normal, par la raison et par la liberté. Le beau plan d’éducation libérale conçu d’instinct et qui avait failli se réaliser de même dans la jeunesse de François Ier devait être, avant la fin du siècle, emporté comme une chimère par la réaction triomphante. Et de cette réaction tous étaient complices : les uns par ardeur, les autres par lassitude. Les ardents avaient besoin d’un enseignement qui armât l’homme pour cette vie de lutte à outrance, qui fit ici des catholiques militants, là de militants calvinistes, des hommes de parti, prêts à être, suivant le temps et le lieu, soldats ou martyrs de leur religion : il leur fallait des collèges non seulement confessionnels, mais tout pénétrés de l’esprit de leur église et dans la main du clergé. Les autres, qui devinrent bientôt le grand nombre en France, las du bruit des guerres, assagis par la fatigue et sceptiques à force de déceptions, n’ayant plus qu’un désir, celui du repos, qu’une passion, l’ordre, qu’un idéal, l’unité, haïssant trop le fanatisme pour le servir, mais le craignant trop pour le combattre, s’engagèrent à la suite de Montaigne dans la voie facile de l’indifférence et abandonnèrent les grandes visées réformatrices et aventureuses de la génération précédente.

On en vint très vite à méconnaître un des aspects originaux de la Renaissance française : on oublia qu’elle avait été autant le réveil de l’esprit que celui de la langue, qu’elle avait voulu