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PRIME DE LANGUE FRANÇAISE EN ALGÉRIE

croirai faillir aux devoirs de l’amitié en ne te faisant pas part de mes impressions du voyage telles que je viens de les éprouver.

»… Me trouvant à Paris au moment du décès de l’immortel poète, je n’ai pas manqué — tu le penses bien — d’aller rendre mon devoir à la dépouille de l’homme que toute la France pleurait.

»… C’était le 1er juin au matin ; le corps exposé sous l’arc de triomphe de l’Étoile que le Grand Napoléon a élevé à la gloire des armées françaises et à la sienne, était, depuis la veille, l’objet des pèlerinages fervents d’une foule immense, recueillie et calme.

»… Quand j’arrivai, les larges avenues des Champs-Élysées contenaient à grand’peine une population pour laquelle l’immensité elle-même semblait devenir trop exiguë. Je m’’approchai, saisi d’une émotion indéfinissable dans laquelle se mêlaient les sentiments les lus divers : mon respect et ma vénération particuliers pour le grand homme dont les poésies ont, les premières, réveillé mes meilleurs instincts, et fait battre mon cœur ; ce sentiment de ma petitesse devant la plus grande figure du siècle, puis l’espèce de mission dont je m’étais investi et que trop tard je reconnaissais être au-dessus de mes forces…

» Lentement le cortège se forme… En tête tous les pouvoirs publics… puis la diplomatie… les écoles… le commerce… bref, l’humanité entière représentée dans chacune de ses parties par les sommités et les illustrations, et dans toute cette foule, dans ce monde devrais-je dire, pas un cri, pas une parole, mais l’attitude calme et digne d’une grande nation concourant à l’apothéose d’un grand homme.

» J’étais derrière le char de l’Algérie ; un char magnifique, décoré avec ce goût français si délicat et cette fantaisie orientale si coquette et si riche…

» Je t’ai déjà dit combien nous sommes sympathiques aux Français et particulièrement à ceux de la métropole ; eh bien, mon cher ami, si tu avais assisté comme moi aux applaudissements qui nous accueillaient à chaque coin de rue, sur chaque boulevard, si tu avais lu, sur tous ces visages penchés vers nous, l’intérêt et l’amour que j’y ai lus, tu aurais, comme moi, versé des larmes de joie et de reconnaissance et, comme moi, tu aurais renouvelé le serment de mourir pour notre patrie d’adoption, chaque jour plus aimée et plus chère…

» Mais qu’est donc, me demanderas-tu, l’homme auquel on a fait ces funérailles incomparables ? C’était un ami du pauvre, un patriote ardent, un orateur inspiré, l’apôtre du progrès, de la fraternité et de la liberté…

» Il est mort comme il a vécu, simple et grand… »