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LE COLLÈGE DE VANNES EN 1830

faisait guère que deux sous par heure ; mais on mettait deux élèves ensemble, quelquefois trois, plus rarement quatre. Grâce à la bienveillance de M. Le Nevé, mon professeur, j’avais huit élèves (deux séries de quatre). Je donnais ma première leçon le matin, de six heures et demie à huit heures, et l’autre le soir de six à sept heures. On me voyait passer dans les rues en hiver avec ma petite lanterne et une pauvre veste d’indienne, qui ne me protégeait pas contre le froid et la pluie. On m’a dit depuis que j’inspirais aux braves gens de la petite ville une sorte de respect. Il est certain que je trouvais de la bienveillance de tous les côtés. Mes huit leçons ne me rapportaient que 24 francs, et c’était mon grand souci. Mme Le Normand, qui était la bonté même, avait beau me dire de ne pas penser à ma dette, j’en souffrais cruellement. Après la distribution des prix, où j’eus sans exception tous les premiers prix, car j’étais ce qu’on appelle un fort en thème, le conseil général du département me fit présent de 200 francs. Je fus donc riche à mon tour. Je payai les 10 francs que je devais à mon hôtesse, j’achetai une redingote de drap et des souliers, dont le besoin était encore plus pressant, et je goûtai la douceur d’avoir des livres de classe à moi, achetés chez M. Galles, au lieu de me servir de vieux bouquins sales et déchirés comme auparavant.

Je n’ai jamais raconté cette histoire ; il me semble qu’elle a quelque intérêt, comme détail des mœurs d’une petite ville il y a cinquante-cinq ou cinquante-six ans. En 1872, étant ministre de l’instruction publique, je reçus au premier jour de l’an la visite des membres de l’Université. Le recteur de l’académie de Paris, M. Mourier, me présenta le corps de ses inspecteurs, parmi lesquels j’en vis un qui avait évidemment grande envie de renouer connaissance avec moi, et je cherchais inutilement à me rappeler où je l’avais vu, quand M. Mourier, qu’on avait mis au courant, me dit : « Voilà M. Du Pontavice, à qui vous avez donné des leçons au collège de Vannes. — Pour trois francs par mois ! » m’écriai-je. J’eus grand plaisir à l’embrasser. Il avait été un de mes fidèles jusqu’à la fin de mon année de philosophie. La leçon avait lieu chez lui, et nous partions tous les cinq ensemble pour être au collège au coup de huit heures.

Je ne compte pas ces années-là parmi les dures années de