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REVUE PÉDAGOGIQUE

la plus ouverte, une de ces âmes qui restent jeunes parce qu’elles restent simples. Il avait trouvé sa voie, et il ne l’a jamais quittée, même dans un pays et dans un temps où des hommes de son mérite pouvaient trouver dans la vie politique tant de situations plus brillantes. Il n’y a jamais songé. IL était de ceux qui aiment l’enseignement, — disons mieux, disons comme les Américains : l’éducation. Il a eu le bonheur de concevoir le plus beau rêve, et de le vivre.

Tout jeune il avait entendu Horace Mann, et cette puissante voix l’avait remué jusqu’au fond de l’âme : il se rappelait encore dans ses dernières années quelques admirables fragments de ces discours du grand patriote, et il nous les récitait avec une telle émotion qu’il était impossible de n’en pas être gagné. Ce mot d’Horace Mann mourant, qui avait été le mot de toute sa vie, l’avait pénétré jusqu’au cœur : « Ayez honte de mourir sans avoir remporté quelque victoire pour l’humanité. »

C’est Horace Mann qui lui donna en quelque sorte la vision de ce que peut être une existence tout entière consacrée à l’œuvre de l’éducation populaire. M. Philbrick était alors simple professeur dans un petit collège ; il ne se doutait pas que c’était à lui que serait réservée la tâche écrasante de succéder à Horace Mann et d’être pendant plus de vingt ans le surintendant des écoles de Boston.

Il l’était encore en 1876 lors de la visite des délégués français envoyés à l’Exposition de Philadelphie, pour le centenaire de l’Indépendance.

Ce n’est pas ici le lieu de répéter ce qu’ont dit ces délégués, dans leur rapport collectif, sur Boston et sur ses écoles, les plus admirables peut-être qui fussent au monde. Rappelons seulement que cette organisation, commencée par Horace Mann, fut en majeure partie l’œuvre éminemment personnelle de M. Philbrick.

Esprit net et esprit juste, toujours accessible aux idées de progrès, il avait lu ou il avait vu tout ce qui pouvait l’instruire, et il empruntait volontiers à l’Allemagne, à l’Angleterre, à la France tous les détails d’installation, tous les procédés d’enseignement qui lui semblaient dignes d’imitation. Mais sous cette foule d’emprunts, il y avait quelque chose qui était à lui et qui faisait l’unité de son plan, la force de son action, l’originalité de son système ; il avait un but, et rien ne le lui faisait perdre de vue ni dans l’ensemble ni dans ies détails. Ce but, c’était de faire des citoyens libres pour un pays libre : c’était de leur donner l’éducation non pas du dehors, mais du dedans ; c’était d’atteindre au vif de l’âme et de faire de l’éducation l’apprentissage du self government.

Que de fois dans nos entretiens, à Boston pendant notre voyage, à Paris pendant son séjour à l’Exposition de 1878, n’avons-nous pas remarqué avec quelle lucidité merveilleuse il éclairait les questions scolaires les plus délicates ou les plus complexes, en s’élevant d’un seul coup au-dessus des intérêts de second ordre pour juger et décider