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SUR L’ART DE RECUEILLIR LES CONTES POPULAIRES

laires il était indispensable d’aller voir les paysans dans leur demeure et d’assister à leurs veillées. Sans vouloir dire du mal de cette méthode, dont j’ai parfois usé avec fruit, je crois, si j’en juge par ma propre expérience, qu’elle n’est pas la meilleure. La présence d’un étranger, d’un monsieur, au foyer de la ferme met le plus souvent les gens mal à l’aise ; leur hôte fût-il sympathique, ils s’observent devant lui. Ils ne sont pas, de plus, toujours en train de raconter : après les travaux du jour en plein air, les plus robustes éprouvent un peu de fatigue ; souvent aussi ils sont préoccupés du temps, de l’apparence des récoltes et de bien d’autres soucis.

J’ai souvent employé, et presque toujours avec succès, un autre moyen : il consiste à réunir, chez soi ou chez un ami, un certain nombre de gens du pays, à les mettre bien à l’aise en leur offrant du tabac et aussi un peu de boisson. Les premiers moments sont froids ; mais si on cause avec eux, si, donnant l’exemple, on leur raconte quelque chose, ils ne tardent pas à s’y intéresser ; un conteur commence : pendant qu’il parle, les souvenirs des autres se réveillent, et un conte n’est pas plutôt fini qu’une des personnes présentes déclare qu’elle connaît quelque récit analogue et propose de le raconter. C’est qu’en effet un conte appelle l’autre. Il arrive souvent que le paysan ou le marin auquel on demande s’il en connaît, répond négativement, et parfois il est de la meilleure foi du monde. Il en à su, mais il y a longtemps qu’il n’y a pensé, et il croit les avoir oubliés alors qu’ils sont simplement endormis dans sa mémoire : les récits qu’il écoute les lui rappellent, et comme presque toujours il les a entendus dans son enfance, époque où les impressions se gravent profondément, il ne tarde pas à se remémorer ce qu’il croyait à jamais effacé de son souvenir : « Des contes, s’écriait une femme que j’interrogeais, j’en ai su plus d’une pouchée (plein un sac), j’en aurais dit d’ici à demain matin, mais je n’en sais plus. » Cependant, quand je lui eus raconté un conte, elle s’en rappela un, puis deux, puis une foule : c’est à elle que je dois les plus intéressants des récits de mes deux premiers volumes.

Les femmes sont, en effet, presque toujours les meilleures conteuses ; elles oublient moins que les hommes, parce que ces récits qui