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REVUE PÉDAGOGIQUE

appartiennent à une couche de civilisation inférieure, au moins par certains côtés, à celle des habitants des villes qui ont quelque teinture des lettres. Si l’on admet que ces derniers soient des hommes du xixe siècle, bien des paysans sont de deux ou trois siècles en arrière ; parfois même leur culture est celle du moyen âge. Si au point de vue des traditions populaires cet état d’esprit est précieux, parce que les croyances et les légendes ont mieux conservé leur naïveté et leur forme, il constitue à d’autres égards une difficulté. Les paysans, qui ont conscience de la différence d’idées qui les sépare des gens plus avancés en évolution, n’accordent pas facilement leur confiance. Ils craignent qu’on ne se moque de leurs récits du temps passé, et ce n’est pas tout à fait sans raison ; souvent des demi-lettrés sont peu indulgents pour les croyances naïves, arriérées si l’on veut, de leurs concitoyens des champs, et ne se font pas faute de s’en moquer hautement. Aussi le premier mouvement d’un paysan, lorsqu’il se trouve en présence d’un monsieur qui l’interroge, est la défiance ou tout au moins la réserve, et, comme personne ne sait mieux que lui se taire quand il le veut, il reste impénétrable, jusqu’au jour où il est convaincu qu’on ne se moquera pas de lui.

Pas plus à la campagne qu’à la ville la confiance ne se commande ; pour l’obtenir il faut déployer un certain tact, dont la théorie est assez difficile à démontrer. C’est avant tout affaire d’observation du milieu ambiant. On peut dire toutefois que si l’on a habité pendant quelque temps un pays, et que l’on ait été aimable avec les paysans, pas fier, comme ils disent, il arrive un moment où ils ne sont plus gênés, et où l’on peut, sans trop en avoir l’air, obtenir de précieux renseignements. Mais il est nécessaire de s’observer, et, quelle que soit la chose qu’on entende, de ne pas protester contre son absurdité, de ne pas sourire de sa naïveté ; il faut, en un mot, paraître à ce point de vue être dans le même courant qu’eux, s’amuser de leur comique grossier, s’intéresser à leurs légendes (ce qui n’est pas très difficile, plusieurs étant charmantes), et accepter leurs superstitions et leurs croyances sans les discuter.

On croyait autrefois que pour recueillir les traditions popu-