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REVUE PÉDAGOGIQUE

sins sans doute, divers pourtant et surtout d’effets très opposés ; je les appellerai, à défaut de noms plus précis, l’amour du bien et l’amour du mieux. L’amour du bien est sage, raisonnable, réfléchi ; il voit les imperfections, il est désireux de les corriger, il s’y applique. Il ne prétend pas toutefois supprimer ces imperfections, toutes et d’un seul coup. Il sait que rien en ce monde ne se fait qu’avec le temps, peu à peu ; que, fût-on pressé, on n’avance que pas à pas, en mettant l’un devant l’autre tour à tour un pied ; que même, si la route est longue, il y faut des étapes ; qu’on ne vient à bout des difficultés qu’en les prenant une à une ; que le progrès est le résultat d’efforts successifs et continus. Il ne brusque rien, ne violente rien ; il tient compte des résistances que lui oppose le présent, le passé même qu’on ne peut empêcher d’avoir existé ; il se fie un peu à l’avenir pour continuer ce qu’il a commencé et, si possible, l’achever. L’amour du mieux est impatient, nerveux, impuissant à se modérer, à se contenir ; il a devant les yeux l’idéal ; tout ce qui en diffère le choque, l’arrête. Cet idéal, il veut l’atteindre et au plus tôt ; il n’admet ni les retards, ni les lenteurs, inséparables pourtant des choses humaines. C’est ainsi qu’il est entraîné à changer et à changer encore ; car le premier changement ne lui a pas donné la perfection qu’il rêve ; et il renverse ce qu’il vient d’édifier ; il trouble, voulant ordonner ; il inquiète les meilleures volontés qui se sentent incapables de le suivre ; il les décourage ; demandant trop, il n’obtient plus assez… Vous avez jusqu’à ce jour pris pour guide le premier de ces sentiments, l’amour du bien : ce dont je vous louais ; il me semble que vous dérivez maintenant vers le second : ce dont je m’effraie et ce qui me fait jeter le cri d’alarme. »

Et comme je voyais l’excellent homme ému de ces paroles, j’ajoutais : « La faute n’en est pas toute à vous. Ne vous ai-je pas excité, poussé ? La faute n’en est peut-être pas non plus à moi tout seul. Nous sommes d’une génération pressée. En particulier dans ce champ de l’instruction primaire, on avait avant nous si doucement cheminé que nous avons senti le désir, pour rattraper le temps perdu, de prendre le trot, voire le galop. »