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A TRAVERS LES ÉCOLES

et le père, dit-on, arrêta son bras levé. Ainsi la pensée de l’enfant dans sa détresse se tournait tout de suite vers son maître ; il en appelait à lui, comme à la justice même, et ce nom invoqué faisait réfléchir le père et le désarmait ! Quel plus bel hommage rendu à un homme ! Quel plus grand exemple d’autorité morale ! Quand je rencontre dans le plus humble village un tel maître, je m’incline avec respect devant lui.

Je sortais d’une école dont le maître m’était dès longtemps connu comme digne de toute estime. Je n’étais pas content. J’avais trouvé depuis ma dernière visite, qui ne remontait pas bien loin, livres nouveaux, adjoints nouveaux, le tableau de l’emploi du temps remanié ou plutôt bouleversé, les programmes distendus, les élèves surmenés, le maître agité, nerveux. Je disais à ce maître :

« Je crains que vous n’ayez voulu trop bien faire. Il y a déjà longtemps qu’on a dit que le mieux était l’ennemi du bien. Cet adjoint avait, je le sais, des défauts ; vous l’avez changé. Ce livre ne répondait pas à tout ce que vous attendiez de lui ; vous l’avez remplacé. Mais cet adjoint, à côté de ses défauts, avait des qualités ; les avez-vous retrouvées en son successeur ? Ce livre, vous le connaissiez ; vous l’aviez longtemps pratiqué ; vous saviez vous en servir ; il vous faut étudier celui que vous avez introduit à sa place ; je vous ai vu encore hésitant, tâtonnant ; après expérience, répondra-t-il à votre attente ? Ne serez-vous pas amené à reconnaître qu’il eût mieux valu pour vous, pour le bien de l’école, essayer, comme vous l’aviez commencé, à tirer parti et du livre et du maître que vous aviez d’abord ? Je ne prétends pas qu’il ne faille jamais rien changer ni personne ; mais je voudrais vous mettre en garde contre cette idée que le moyen d’améliorer est de changer. Cette idée est si séduisante, elle est d’application si facile ! On a si vite dit : Changeons ! On l’a si tôt fait ! Et on arrive à ces perpétuels changements qui ne permettent à rien d’aboutir, qui nous font vivre dans l’éternel espoir du mieux et ne laissent pas le bien, même ordinaire et vulgaire, se réaliser. « Je voudrais qu’on distinguât entre deux sentiments, voi-