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POÉSIES

[Nos lecteurs connaissent les Poèmes de Provence et la Chanson de l’enfant, ces charmants recueils qui ont obtenu de l’Académie française une distinction bien méritée. Leur auteur, avec une bonne grâce dont nous le remercions vivement, offre à la Revue pédagogique la primeur de quelques beaux vers qui trouveront leur place dans un nouveau volume de poésies destiné à paraître prochainement. Il a pensé avec nous que les sentiments généreux et patriotiques dont il s’est inspiré auront un écho dans le cœur des maîtres de nos écoles primaires ; il a voulu qu’ils fussent les premiers à lire ses vers. Les instituteurs de France sauront gré au poète de cette pensée délicate. — La Rédaction.]


LA LÉGENDE DU FORGERON

Un forgeron forgeait une poutre de fer,
Et les dieux, les esprits invisibles de l’air,
Les témoins inconnus des actions humaines,
Tandis qu’autour de lui, bruissant par centaines,
Les étincelles d’or faisaient comme un soleil,
Les dieux voyaient son cœur, à sa forge pareil,
Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées,
Étincelles d’amour en tous sens élancées !
Car tout en martelant le fer, de ses bras nus,
Le brave homme songeait aux frères inconnus
À qui son bon travail serait un jour utile…
Et donc, en martelant la poutre qui rutile,
fl chantait le travail qui rend dure la main,
Mais qui donne un seul cœur à tout le genre humain.

Tout à coup, la chanson du forgeron s’arrête :
« Ah ! dit-il tristement, en secouant la tête,
» Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien :
» Une paille est dedans ; recommençons. C’est bien. »
Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste ;
Il ne plaint pas l’effort de son torse robuste ;
Il sait que ce qu’il doit c’est un travail bien fait,
Qu’une petite cause a souvent grand effect,
Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu’en somme
Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d’homme.

Les étincelles d’or faisaient comme un soleil,
Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil,
Étincelles d’amour en tous sens élancées,
Jaillissaient le courage et les bonnes pensées.