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REVUE PÉDAGOGIQUE

l’incrédulité, le nombre est sans cesse croissant, dans les pays de langue anglaise, de ceux qui reconnaissent au contraire impartialement que nos réformateurs ont fait une œuvre bonne et saine en séparant la morale, destinée à être un moyen de rapprochement et de culture générale, de la religion, qui est encore ce qui divise le plus. Dans la presse comme dans les livres on voit percer de jour en jour davantage cet aveu. Journaux et revues de pédagogie recommandent de plus en plus à l’instituteur de s’efforcer autant que possible, à la fois théoriquement et pratiquement, à l’aide des préceptes de la simple morale universelle, et de tous les beaux traits qui font honneur à l’humanité, de former à l’enfant une conscience droite, au lieu de laisser ce soin au prêtre ou au pasteur. Les périodiques et les publications de ces derniers mois nous apportent encore plusieurs preuves de ces tendances nouvelles que nous sommes heureux de constater.

Nous pouvons citer d’abord un intéressant rapport, publié dans le numéro de septembre-octobre de la revue américaine Education, et rédigé au nom d’un comité d’éducation morale par un homme d’une compétence incontestée, M. le Dr W. T. Harris, de Concord, Maxsachusetts. Ce rapport est adressé au Conseil national d’éducation, branche de la grande Association nationale d’éducation si justement célèbre. Après avoir essayé de tracer, avec un instinct philosophique remarquable, sinon avec une rigoureuse précision d’analyse, une sorte d’échelle des habitudes qui constituent le caractère moral, savoir : 1° habitudes semi-mécaniques, telles que l’obéissance, la ponctualité, la régularité, l’observation du silence ; 2° habitudes morales proprement dites, pour lesquelles la réflexion de l’enfant intervient davantage, telles que la propreté du corps et du vêtement, la culture individuelle, le travail, le courage, puis la courtoisie envers autrui, l’équité, la justice, la véracité, le respect de la loi, etc. ; 3° habitudes. religieuses ou vertus relatives au problème de la destinée ultérieure de l’homme, telles que la foi, l’espérance, la charité, le rapport conclut que les instituteurs ne sont en mesure d’inculquer aux enfants que les deux premières classes de ces habitudes morales. « Si la communauté était homogène dans sa confession de foi, dit M. Harris, l’instruction religieuse dogmatique pourrait encore être confiée assez convenablement à l’école, mais le progrès de la société américaine ne va pas dans cette direction ; il n’est pas impossible que l’Église voie l’instruction religieuse, même sous la forme restreinte d’une simple lecture de la Bible sans commentaires, disparaître complètement de l’école. Partout où cette lecture de la Bible ou la prière récitée à l’ouverture de la classe est devenue un exercice de routine (perfunctory exercise), il n’y a pas instruction morale, et il n’y a même plus instruction religieuse. » Le rapport engage donc les instituteurs à se borner à enseigner les habitudes de morale humaine, et non plus les « vertus célestes », et il termine en annon-