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l’assemblage que vous voulez qu’il fasse, si vous ne le faites vous-mesme et ne le prononcez plusieurs fois à ses oreilles. Il faut dire le mesme d’une infinité de mots plus difficiles, aimoient, faisoient, disoient, etc.

D’ailleurs qu’on fasse appeller tant qu’on voudra à un enfant ses Lettres, ce ne sera jamais par ce moyen qu’il apprendra à prononcer les syllabes et les mots ; il n’y a que l’usage et l’accoutumance qu’il a d’entendre dire cent fois un mesme mot, lorsqu’on luy en montre les Caractères, qui les luy fassent apprendre. Mais c’est qu’on veut toûjours raisonner avec les enfans et leur montrer par règles ce qui ne dépend que de l’usage seul, qui est la seule raison du langage. Et si l’on veut faire attention à ce que je dis, on verra qu’on leur prononce tant de fois les syllabes et les mots tout assemblez, qu’enfin ils les retiennent et se ressouviennent qu’à telles Lettres jointes ensemble, on a donné une telle prononciation, laquelle ils n’auraient jamais conceuë autrement, en appellant les Lettres l’une apres l’autre : C’est pourquoy il est fort inutile de leur faire perdre tant de temps et de peine par cette maniere d’appeller, au lieu qu’ils auroient bien plutost appris les Combinaisons des Lettres, que cette multitude de sons, dont on veut qu’ils composent une ou deux syllabes : ainsi on attribuë sans raison la science de lire, que les enfans acquierent à la fin, à cette maniere d’appeller les Lettres, laquelle n’est qu’un effet de l’usage qu’ils ont d’entendre prononcer souvent les syllabes et les mots entiers ; comme on croit que les regles de Despautere sont cause de la maniere correcte, dont un enfant compose en Latin, quoy qu’en composant il n’y ait pas seulement pensé, n’ayant suivy en cela que l’usage qu’il a du Latin, lequel il n’a appris qu’en lisant, qu’en écrivant, et qu’en faisant beaucoup de fautes, dont on l’a corrigé.

Apres donc qu’on aura fait voir et prononcer aux enfans les cinq Voyelles a, e, i, o, u, et les Diphtongues æ, œ, au, eu, ei, et qu’on leur aura fait regarder seulement les figures des Consonnes, sans les leur faire prononcer que dans la Combinaison des syllabes entieres, dont on leur aura fait dresser et apprendre un Alphabet : il sera bon de leur faire lire premierement les mots entiers et détachez les uns des autres, dont il leur faudroit faire une liste, où l’on ne mettroit que les plus communs qu’ils entendent dire le plus souvent, et dont ils connoissent la signification. Et comme on leur apprend à prier Dieu dés l’âge de quatre et cinq ans (je suppose qu’on le fasse en François), il faudra commencer par leurs Prieres, et par leur Catechisme, qu’ils sçavent déja par cœur, à leur faire lire un discours suivy, puis leur en rompre le fil et la suite, pour voir si c’est par la connoissance des Caracteres qu’ils lisent, ou si ce n’est point par cœur et par routine ; afin que quand ils pourront lire indifferemment leurs Prieres et leur Catechisme, partout, où on leur demandera, on commence ensuite à leur donner des Livres Français.

Estant donc en estat de pouvoir apprendre à lire dans les Livres François, il faudra leur en donner qui soient proportionnez à leur intelligence pour les matieres. Les petits Colloques de Mathurin Cordier seroient tres-propres à cet usage, s’ils estoient traduits en meilleur François, car il ne faut pas corrompre dés ce bas âge la pureté de leur langage naturel ; mais les Fables de Phedre, les Captifs