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REVUE PÉDAGOGIQUE

En France, au contraire, cette évolution aboutit à bien d’autres résultats. La pensée des érudits s’éloigne peu à peu de ce qui a fait l’objet premier de ses recherches et de ses travaux ; elle ne se souvient plus que de loin en loin des intérêts véritables de la géographie ; elle semble se désintéresser de sa cause et l’abandonne dans son isolement. Sans doute la géographie ne « sommeille » pas encore, elle essaie de reprendre vie par quelques belles œuvres auxquelles s’attachent quelques grands noms. Mais l’attention publique, chez nous, est ailleurs : elle est à la tribune, elle est à la lutte des romantiques et des classiques, elle est surtout à l’éclosion de ces œuvres nouvelles qui transforment l’histoire et passionnent les esprits éclairés. L’histoire absorbe alors, en grande partie, l’attention du public, écrivains et lecteurs. Elle raconte, du reste, la vie nationale, fait revivre le passé, et trouve dans quelques-uns de ceux qui la cultivent de véritables hommes de génie. — Pour la géographie, que devient-elle ? y pense-t-on encore ? Oui, sans doute ; mais personne ne songe à protester contre la sujétion étroite à laquelle veut la soumettre l’histoire. L’habitude se prend de ne la considérer que comme une étude accessoire, et non indispensable. À qui viendrait-il à l’esprit de protester contre cette définition que déjà, en 1807, un savant écossais, géographe à ses moments perdus, Pinkerton[1], donnait dans la préface d’un ouvrage justement renommé : « La géographie comme la chronologie n’a pour but que d'éclairer l’histoire[2]. » Notons-le : jusqu’à nos jours, c’est-à-dire jusqu’après 1870, nous avons vécu en France sur cette idée-là. La géographie historique était née et prenait place dans les programmes de notre enseignement. Le plus grand nombre des œuvres que nous aurons à mentionner chez nous dans cette période n’auront désormais d’autre but que celui « de se faire l’auxiliaire de l’histoire[3] ».

Jusqu’à la seconde moitié du xviiie siècle, l’Allemagne n’avait pas eu, pour ainsi dire, de littérature nationale. Le monde officiel, élégant, mondain et lettré, cultivait la littérature française et ne parlait guère que le français. Mais quand la langue se fut définitivement formée avec de grands écrivains en prose et en poésie, dont le premier en date fut Lessing, elle se trouva en possession d’un puissant instrument de travail. Alors elle se jeta dans tous les genres, dans l’érudition surtout, vers laquelle la portait la pente même de l’esprit allemand. Elle trouva dans la géographie historique un terrain à défricher en beaucoup de parties, car la France était loin de l’avoir épuisé : elle comprit de suite importance de cette science, en devina la force et la portée, et, initiée un peu tard aux questions qu’elle soule-

  1. Géographie moderne, rédigée d’après un nouveau plan, 3 vol., ouvrage qui fut traduit dans toutes les langues.
  2. « To illustrate history ».
  3. Barberet et Magin, Précis de géographie historique (Introduction).