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REVUE PÉDAGOGIQUE

de vue en effet que dans les campagnes les enfants indigènes sont mal tenus, vêtus de haillons sordides, ignorants de la plus élémentaire propreté, atteints enfin trop souvent d’affections héréditaires. Au moral, ils laissent encore plus à désirer, et il n’est guère d’Européen qui ne redoute pour ses enfants le contact des indigènes. Ce sont ces répugnances, très justifiées on doit en convenir, bien plus que la prétendue aversion des indigènes pour l’instruction, qui ont empêché les Arabes et les Kabiles d’envoyer leurs enfants dans les écoles publiques ouvertes à leur portée. Voici à ce sujet ce que racontait un journal d’Alger :

Un instituteur, désireux de faire participer les indigènes qui l’entouraient aux bienfaits de l’instruction, avait réussi à persuader à un certain nombre d’entre eux d’envoyer leurs enfants à l’école communale. Mais les résistances des indigènes vaincues, notre instituteur vint se heurter aux résistances des Européens de la contrée. Beaucoup de familles lui représentèrent qu’elles avaient trop à craindre de la fréquentation de leurs enfants avec ceux des pauvres indigènes, souvent atteints de maladies contagieuses ou même de vices affreux. Il était vraisemblable que, plutôt que de s’exposer à ce qu’elles considéraient comme un danger, elles retireraient leurs enfants de l’école si les petits indigènes devaient y être immédiatement mêlés : le zèle de l’instituteur se trouva donc arrêté par un obstacle invincible.

Ce n’est point là d’ailleurs un fait isolé ; partout, dans les écoles arabes françaises, l’élément européen tend à éliminer l’élément indigène.

L’école de Tizi-Ouzou, raconte M. Henri Lebourgeois dans son rapport d’inspection de 1880, était, il y a quelques années, en bonne voie ; elle compta un moment jusqu’à cent cinquante élèves kabiles. « De son ancienne splendeur, il lui reste un adjoint indigène et ’un seul petit Kabile qui attend son renvoi. L’instituteur m’a avoué en tremblant que s’il recevait les enfants des douars voisins, il aurait contre lui le curé, le maire et l’un des premiers fonctionnaires de l’arrondissement. » Cet état de choses paraît s’être un peu amélioré depuis cette époque, mais la situation faite aux écoliers indigènes, en butte à mille petites vexations de la part de leurs condisciples, n’en reste pas moins très précaire.