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REVUE PÉDAGOGIQUE

d’un coureur de dot qui flatte sa manie et sur le point de lui livrer sa fille. Bien plus, la famille, grâce aux personnages divers dont elle se compose, permet au poète d’étudier le même ridicule sous des aspects différents, de le montrer diversifiant ses effets selon l’âge, la situation, l’humeur, le fond premier du caractère. Philaminte, Armande, Bélise, autant d’exemplaires variés de la vanité féminine ; Philaminte, c’est la vanité chez la femme d’âge mûr, qui a pris son pli, dès longtemps habituée à commander, mariée à un homme qu’elle mène, dominatrice, non sans quelque dignité d’attitude ; Armande, c’est la vanité chez la jeune fille qui s’essaie à imiter sa mère, et dépasse le but, qui a rebuté une affection s’offrant à elle, mécontente maintenant d’avoir été abandonnée, aigrie et déjà méchante ; Bélise, c’est la vanité chez la vieille fille, dans un pauvre esprit, tournant à la monomanie, au cas pathologique, ou plutôt chargée et ridiculisée à outrance pour provoquer l’hilarité bruyante. Ces personnages appellent leurs contraires ; car l’opposition est le procédé favori de Molière ; à Philaminte il oppose Chrysale soutenu d’Ariste, à Bélise Martine, à Trissotin Clitandre, à Armande Henriette, la charmante Henriette qui, par haine des exagérations de sens contraire au milieu desquelles elle a grandi, a trouvé le point juste, la mesure ; Henriette, la perfection même, mais une perfection qui est de ce monde, modèle à proposer aux femmes françaises.

Je ne m’arrêterai pas plus longtemps à cette pièce d’ailleurs si souvent étudiée ; ce que je tenais à montrer, c’est qu’il n’y a pas lieu d’en appeler de Molière auteur de l’École des femmes à Molière auteur des Femmes savantes ; c’est qu’en dépit des impressions, parfois très vives, qu’éveillent en nous les épigrammes dirigées par l’une de ces pièces contre les femmes qui aspirent au savoir, la conclusion de l’autre n’en reste pas moins debout dans toute sa netteté et avec sa toute justesse : « L’ignorance n’est point pour la femme une sauvegarde : elle lui est un danger. Tenir systématiquement une femme dans l’ignorance, c’est vouloir qu’elle marche droit sans y voir, dans les ténèbres. ».