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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

reprendre l’idée de l’École des Maris ; cette fois encore, en la reprenant, il la développe et l’approfondit ; l’esquisse devient un tableau, la pièce en un acte une pièce en cinq actes, l’œuvre en prose une œuvre en vers, le badinage une comédie sérieuse, j’allais dire grave. Malgré ces changements, la parenté est évidente : Chrysale n’est qu’un Gorgibus de meilleure souche. Qu’il s’agisse de précieuses ridicules ou de femmes savantes, c’est la vanité qui est en jeu, l’éternelle vanité féminine, le désir d’être autrement et mieux que les autres, le besoin de se mettre hors de pair, de se tirer de la foule qu’on dédaigne, de se distinguer. Chez les « précieuses ridicules », c’est la vanité se prenant aux choses extérieures, grands airs et beau langage. Chez les « femmes savantes », c’est la vanité cherchant à se hausser jusqu’aux grands sentiments, aux nobles soucis, à la science : de cette science ou plutôt de cette prétention à la science, les « femmes savantes » se parent comme d’autres font de leurs ajustements, et cette parure leur est plus chère parce qu’elle leur semble de meilleur goût, moins commune, mieux portée ; c’est encore du mal de vanité qu’elles sont travaillées, quand elles admirent à qui mieux mieux les vers de Trissotin, chacune s’évertuant à y voir ce qu’on n’y a pas encore vu et ce qui n’y est pas ; admirer l’esprit d’autrui est une occasion de faire briller le sien. Dans la première de ces pièces, Molière, mettant en scène une vanité toute de surface, [a traite légèrement ; il croit avoir assez fait quand il l’a bafouée ; il nous montre deux jeunes filles, pauvres têtes folles, venues de province à Paris pour fréquenter la belle société et dupes de deux valets qui ont revêtu les habits de leurs maîtres et en contrefont les manières ; il est vrai qu’au delà de la contrefaçon il atteint les modèles eux-mêmes ; mais la donnée, on le voit, est toute de fantaisie. Dans la seconde pièce, qui est d’ordre plus relevé, s’attaquant à une vanité d’allures plus ambitieuses, de plus haute visée, Molière y met plus de façons ; il nous place tout de suite sur un terrain solide, en pleine réalité ; il nous introduit dans une famille : il nous y montre (c’est ainsi qu’il a déjà fait dans l’Avare, dans le Tartuffe) les graves conséquences du défaut qu’il combat, à savoir une maison où nous voyons aller tout sens dessus dessous, les époux divisés, les enfants divisés, une mère s’entichant