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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

l’aimer, que son empressement et ses soins ne paraissent pas déplaire, qu’à dire vrai il croit même ses affaires en fort bonne posture ; qu’il a, il est vrai, un ennemi à combattre, un Monsieur de la Zousse ou de la Source qui prétend garder Agnès pour lui :

Riche, à ce qu’on m’a dit, mais des plus sensés, non :
Et l’on m’en a parlé comme d’un ridicule !
Le connaissez-vous point ?

Situation comique, n’est-ce pas ? que celle de cet homme qui s’entend dire de ces choses-là en face ! Il eût pu d’un mot y mettre fin ; ce mot, il ne l’a pas dit, soit que, tout d’abord troublé, il ait manqué de décision, soit qu’il ait cru avoir intérêt à se taire pour mieux savoir ; et ce mot qu’il n’a pas dit tout de suite, il ne peut plus le dire ; le voilà devenu le confident d’Horace, et cette situation comique se répétera, s’accentuera. Toute la pièce est là : pour la soutenir, Molière n’a pas besoin d’autre chose. Averti, Arnolphe s’enquiert, interroge les serviteurs auxquels il a confié la garde de la jeune fille, interroge la jeune fille et à ses réponses croit voir qu’elle n’a péché que par ignorance. Croyez-vous qu’il s’en prenne à son ignorance, qu’il essaie de dissiper les ténèbres morales qu’à dessein il a accumulées autour de cette âme, qu’il s’efforce d’y faire le jour ? Point. C’est le propre de l’esprit de système que de persévérer, de s’entêter contre les événements. Arnolphe ne s’adresse ni au cœur ni à l’intelligence d’Agnès ; il lui dicte sous forme de commandements ce qu’elle doit faire ; il n’explique pas, il édicte ; il ne raisonne pas, il menace ; il cherche à effrayer. Et après cela il se croit en sûreté, et rencontrant Horace il le provoque à parler de ses amours ; le voyant quelque peu rêveur et inquiet, il se réjouit et déjà raille et triomphe ; mais son triomphe n’est pas de longue durée ; il apprend bientôt que ses efforts ont été vains et vaines ses précautions. Une sorte de duel s’engage entre la niaise et l’homme d’esprit, et l’homme d’esprit y a toujours le dessous, bien qu’à l’avance prévenu, mis sur ses gardes par Horace ; et cela dure jusqu’à ce qu’il plaise à Molière d’y mettre un terme par un moyen quelconque, le premier venu, une reconnaissance. Il se trouve qu’Agnès n’est point la fille de la paysanne chez qui Arnolphe l’a prise, mais bien celle d’un bourgeois ami du père d’Horace ; ct ce bourgeois la donne à