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REVUE PÉDAGOGIQUE

le mal qu’elle a fait. Elle est innocente et pure ; son innocence et —sa pureté imposeraient aux plus hardis, elles réjouissent et à la fois déconcertent Arnolphe lui-même, font hésiter les questions sur ses lèvres. Elle est sincère ; elle dit tout ; sa sincérité se tourne en torture à celui qui l’interroge, voudrait savoir et craint d’apprendre ; c’est parce qu’elle est sincère qu’à la pierre qu’elle jette par ordre elle ajoute une lettre ; on a fait violence à sa sincérité, elle ne saurait s’y résigner ; elle tient à s’expliquer, à dire ses véritables sentiments. Elle est naïve ; c’est sa naïveté qui rend si cruelles quelques-unes de ses réponses à Arnolphe. « Pourquoi ne m’aimer pas ? » a dit celui-ci. Et elle de répondre, pensant à Horace :

Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer ?

Plus est heureux et charmant le naturel d’Agnès, plus il est évident, lorsqu’on la voit près de s’égarer, que l’éducation qu’elle a reçue est mauvaise : ce que veut démontrer Molière.

Que dire d’Horace ? C’est le jeune homme avec le mélange de qualités et de défauts que nous savons, la vivacité des impressions, le cœur facile à prendre, prompt à s’épancher, le besoin de raconter qu’il est venu, qu’il a vu et qu’il a vaincu, ou, pour être plus indulgent et peut-être ici plus équitable, le besoin de dire qu’il est heureux, une confiance qui ne s’arrête point à choisir, de l’irréflexion, de l’étourderie, mais surtout beaucoup de bonne grâce, d’entrain et de belle humeur.

Tels sont les principaux personnages : l’action où ils se meuvent est des plus simples : elle suffit pourtant à Molière. Arnolphe, j’en ai déjà dit un mot, a depuis quelques années quitté son nom, le nom de ses pères ; il se fait appeler Monsieur de la Souche ; le travers n’était pas rare alors ; on le retrouverait à d’autres époques ; le poète le raille en passant. Horace, fils d’un vieil ami d’Arnolphe, qui n’a jamais entendu son père désigner Arnolphe que par le nom d’Arnolphe ; Horace, nouveau venu dans la ville, ne peut se douter qu’Arnolphe et Monsieur de la Souche sont une seule et même personne. Sur cette ignorance repose toute l’intrigue. Horace dira à Arnolphe ce qu’il aurait le plus grand intérêt à taire à Monsieur de la Souche : qu’il a vu une jeune fille du nom d’Agnès, qu’il n’a pu la voir sans