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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

qui ne sait plus où s’arrêter, les fautes se renouvelant et s’aggravant parce qu’elles n’ont pas été d’abord réprimées, l’autorité de l’éducateur désarmant volontairement et, aux jours où il est nécessaire de lutter, impuissante, sans force, sans effet. Ainsi Térence à bien vu tous les côtés de la question, et il nous les fait voir ; 1l nous invite à penser ; sa pièce est d’un esprit réfléchi s’adressant, il semble, à d’autres esprits réfléchis ; qui, avec un soin consciencieux et délicat, cherche la vérité et, chemin faisant, se reprend, se corrige, revient sur ses pas pour marquer d’un trait plus précis où la vérité commence, où elle finit. La pièce de Molière est celle d’un homme de théâtre qui s’adresse à la foule ; il a fait à l’avance son choix pour elle ; il sait où il va, il a son but, il y marche et nous y mène droit ; il ne nous laisse pas le temps de respirer ; il nous tient, il nous entraîne. Quelle décision et quelle netteté dans la conception ! Quelle rapidité et quelle vigueur dans l’exécution ! On se rappelle comment dans sa Lettre à l’Académie à conclu Fénelon, parlant de Térence et de Molière : « Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques ! » À vrai dire j’aime mieux posséder l’un et l’autre, et distincts ; c’est double plaisir ; je lis l’un ; je peux voir jouer l’autre ; ainsi tout est pour le mieux, et chacun de ces grands esprits se montre à son avantage. Après l’École des Maris vint l’École des Femmes. Ce n’est pas par le titre seulement[1] que ces deux comédies se ressemblent et invitent à un rapprochement : la ressemblance du titre annonçait des ressemblances de fond. De l’une à l’autre il n’y a qu’une année d’intervalle. Le poète est dans le même courant d’idées. On dirait qu’il n’a pas cessé d’avoir dans l’esprit le sujet qu’il avait traité, d’y penser ; il le reprend et le remanie ; il le traite à nouveau, mais avec plus de soin, de maturité et d’ampleur. Il le reprend par un côté ; la question est mieux posée, plus limitée et partant mieux définie ; la conclusion est plus nette et plus solide. « Non, il n’est pas vrai, soutient Molière, que l’ignorance soit bonne, soit saine pour la femme. Ignorer

  1. Le titre de la première pièce eût également convenu à la seconde ; il a donc fallu pour la seconde chercher un peu à côté ; aussi ce nouveau titre manque-t-il, à mon sens, de précision ; il semble qu’il doive être pris ironiquement : « Femmes, apprenez par ma pièce comme il faut vous conduire. »