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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

Si j’avais un reproche à faire à Molière, ce serait d’avoir pris trop nettement son parti ou plutôt de l’avoir tout de de suite trop nettement marqué ; chez lui la question n’est pas débattue ; elle est tranchée. Ariste est, à n’en pas douter, son homme. On a dit qu’il mettait dans sa bouche les sentiments qu’il voulait faire entendre à une toute jeune femme, dont lui, homme déjà mûr, était épris ; il le chargeait de plaider sa cause, de parler pour lui, d’être en quelque sorte lui-même. Sganarelle est absolument sacrifié. Certes le Déméa de Térence est peu aimable, comme il convient au partisan de l’éducation rigoureuse ; il est entiché de ses idées, il se trompe et est trompé. Mais il ne manque pas de finesse campagnarde ; il a sa revanche ; il se moque de ceux qui se sont moqués de lui ; il clôt la pièce et à ce moment a le premier rôle, domine les autres personnages. Sganarelle a été fait désagréable, grognon, ridicule à plaisir ; sa foi en lui, en ses idées, son infatuation va jusqu’à l’aveuglement niais ; il est joué par celle qu’il croit bien au-dessous de lui, son élève ; il fait ses commissions, et quelles commissions ! il va révéler ses sentiments à celui qu’elle aime ; il porte ses billets ; il amène son rival lui-même, le met en présence de la pupille qu’il prétend si bien garder. Quand il s’imagine de prendre en faute Léonor, l’élève d’Ariste, comme il triomphe, comme il raille ! Il emprunte à son frère, pour les tourner contre lui, ses propres idées, ses propres expressions :

Vous l’avez bien stylée :
Il n’est pas bon de vivre en sévère censeur ;
On gagne les esprits par beaucoup de douceur :
Et les soins détiants, les verrous et les grilles
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles ;
Nous les portonsau mal par tant d’austérité,
Et leur sexe demande un peu de liberté.
Vraiment ! elle en a pris tout son soùl, la rusée ;
Et la vertu chez elle est fort humanisée.

Sganarelle est mauvais, il a la joie méchante, cruelle. Mais Sgnanarelle cette fois encore a été trompé ; c’est Isabelle, son élève, et non celle de son frère, qui est enfermée avec Valère. Car qu’ai-je besoin de le dire ? Isabelle a pris en horreur la vie qui lui était faite et l’homme qui la lui faisait : elle s’est tournée vers le premier venu ; heureusement celui-ci est un très honnête