tion : il y a deux manières de concevoir la nature humaine. Pour les uns elle est à l’avance déchue, corrompue, portée au mal ; il faut ne pas la laisser à elle-même, toujours la surveiller, se défier d’elle, la tenir à l’écart du monde qui est plein d’occasions de mal faire, de séductions et de tentations, ne lui rien accorder, ne lui rien permettre ; car cc qu’on lui permet est un encouragement à désirer plus, une excitation des concupiscences qui sont en elle ; le mieux serait qu’elle restât ignorante du mal, et que de précautions pour conserver cette précieuse ignorance ! Quoi qu’il en soit, nulle garde autour d’elle ne sera jamais trop sévère. Pour les autres, l’homme — la femme même — est un être doué de la faculté de discerner le mal et le bien et du pouvoir de se tourner vers l’un ou vers l’autre ; il faut rendre plus net ce discernement, plus forte cette volonté ; l’élever, c’est le mettre en état de se passer des autres. Parce que tout jeune il peul tomber, nous ne l’empêchons pas de marcher, ni de courir parce que la chute serait alors plus rude et plus douloureuse. Sous notre œil vigilant il fait ses premiers pas ; s’il chancelle, nous le soutenons ; s’il tombe, nous le remettons sur pied, nous le consolons, nous l’encourageons, nous l’excitons. De même, avec plus de temps sans doute et plus de peine, nous lui apprenons à marcher dans la vie, à se conduire. Sous notre direction, il essaie, il exerce, il développe ses forces intellectuelles et morales : mais nous ne prétendons pas que celte direction s’éternise en une perpétuelle tutelle ; nous ne le traitons pas en esclave qui ne doit jamais qu’obéir, mais en homme né libre qui se prépare à se servir de sa liberté. Il faut qu’il s’habitue à trouver en lui son guide et sa règle ; cela ne l’empêchera pas de venir à nous, si nous avons su lui inspirer affection et confiance ; il faut qu’il s’habitue à voir ce qui est autour de lui, les autres, le monde, à comparer, à juger, à se résoudre et à tenir sa résolution ; il le doit, car c’est là sa fin ; il le peut, car il porte en lui tout ce qui est pour cela nécessaire.
Entre ces deux conceptions Molière n’a pas hésité ; il tourne le dos au moyen âge, il regarde vers nous : grand esprit et grand cœur, il est pour l’idée la plus large et aussi la plus bienveillante à la nature humaine ou, pour lui prendre son expression (Le festin de Pierre, acte III, scène ii), à l’humanité.