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REVUE PÉDAGOGIQUE

dans ses innovations les plus hardies n’a guère consisté qu’à aller du trop au trop peu et inversement. Et comme le parterre devait applaudir cette vive satire ! Car il y a deux choses qu’en France nous aimons également, bien qu’elles semblent s’exclure, médire de la mode et la suivre ; nous en médisons à la façon des esclaves qui se consolent de leur obéissance ou s’en vengent en se moquant de ceux à qui ils obéissent. À ces saillies Ariste oppose le simple et ferme langage du bon sens et de la raison : il ne faut point se singulariser, point se faire regarder.

L’un et l’autre excès choque, et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,
N’y rien trop affecter, et sans empressement
Suivre ce que l’usage y fait de changement.

Mais Sganarelle n’en veut pas démordre :

Je veux une coiffure en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode ;
Un bon pourpoint bien long et fermé comme il fout
Qui, pour bien digérer, tienne l’estomac chaud,
Un haut-de-chausse fait justement pour ma cuisse :
Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice
Ainsi qu’en ont usé sagement nos aïeux :
Et qui me trouve mal n’a qu’à fermer les yeux.

Voilà qui est parler net. Sgnanarelle s’enveloppe de son égoïsme, s’y retranche et se hérisse.

À ce moment paraissent au fond de la scène les deux sœurs accompagnées de Lisette. « Où donc allez-vous ? qu’il ne vous en déplaise, » intervient tout de suite Sganarelle de son ton mi-bourru, mi-narquois ; et Léonor, la pupille d’Ariste, de prendre la parole et de répondre :

Nous ne savons encore, et je pressais ma sœur
De venir du beau temps respirer la douceur,
Mais…

Sganarelle, à Léonor.

Pour vous, vous pouvez aller où bon vous semble.
(Montrant Lisette.)

Vous n’avez qu’à courir, vous voilà deux ensemble.
(A Isabelle.)

Mais vous, je vous défends, s’il vous plait, de sortir.

Molière aime ces débuts ; tout de suite, simplement et vivement, il nous fait sentir la manière toute différente dont sont